Les carnets secrets - Marc Fayet : «À l'heure du monoxyde de carbone... »

"Il s’agissait très probablement de Bernard Sainz, alias docteur Mabuse"

C’était rue de Londres, dans le 9e arrondissement de Paris, mercredi 27 novembre 2024, aux environs de 13h30 que sur le trottoir se dirigeait dans ma direction un homme sur une monture très modeste : Cadre fin, assez ancien, de couleur jaunâtre, guidon droit de VTC mais avec des roues à petite section. Cet homme d’un certain âge et qui prenait la direction de la place de l’Europe m’apparaissait comme un visage connu. Ce n’est que quelques secondes après son passage que tout à coup mon cerveau m’indiqua qu’il s’agissait là très probablement de Bernard Sainz, alias docteur Mabuse. N’en ayant aucune preuve, car cette vision fut trop fugace, j’avais pourtant la sensation qu’il s’agissait bien de cet individu au pseudonyme célèbre, devenu à la longue plus célèbre que le personnage dont on lui avait attribué le nom.

J’éprouvais une sorte de satisfaction et de malaise en même temps car je me demandais bien ce qu’il pouvait faire dans le quartier, et puis il y a bien longtemps qu’il ne défraie plus la chronique judiciaire cycliste. Et alors ? Me direz-vous ? Allait-il commettre d’autres forfaits ? Et pourquoi pas ? Pour les éléments de suspicions, rappelons-nous que lors de l’enquête édifiante d’Elise Lucet qui avait remis notre sorcier au cœur de l’actualité, le bon docteur fixait ses rendez-vous dans une brasserie située dans le quartier de Villiers, pile tout droit à 200 mètres dans la direction que prenait le vieux cycliste que je venais de croiser. C’était dans ce lieu, souvenez-vous, qu’une caméra cachée nous avait permis de découvrir les conseils avisés qu’il prodiguait à un cycliste complice venu y chercher quelques recettes ou produits lui permettant d’augmenter ses performances en raison d’une période de doute et de méforme.

"A l’heure où les rumeurs sur les machines monoxydes de carbone, les cétones et autres sont d’actualité..."

Mon esprit, de même que mon imagination, me poussèrent tout de suite à visualiser un recoin de ce grand café où, installé sur un des fauteuils, un coureur en plein doute attendait cette visite comme un de ses derniers espoirs de refaire une saison de plus, avec la forme qu’il faut et non pas sa galère passée. Et puis en ce plein mois de novembre, il s’agissait de la période idéale, celle de la coupure où chaque cycliste fait le point sur l’année passée et prépare les objectifs de la suivante. Période de réflexion, de préparation et parfois de perdition. Pourtant à l’heure où les rumeurs sur les machines monoxydes de carbone, sur les cétones et autres microdoses sont d’actualité, les ordonnances du douteux Docteur, composées de douche froide sur les testicules et de la prise de gouttes à 100 euros comportant de l’eau et de la caféine, paraissaient bien anachroniques.

Et pourtant ? Qu’est-ce qui peut freiner un homme qui a sévit sur des générations de coureurs depuis les années 80 jusqu’aux années 2010 et au-delà. On imagine sans peine que rien ne peut arrêter ce genre de personnage qui a su se rendre indispensable, incontournable, indiscutable, indétectable ! Usant de son ascendant psychologique, il y a quelque chose du serpent chez lui et son regard rappelle celui du Python Kaa du livre de la jungle, lorsqu’il hypnotisait ses proies pour leur diffuser les pires pensées.

Dopage - L'UCI a mis en garde les équipes sur l'usage du monoxyde de carbonne #UCI #Dopage #Doping #CO #Monoxyde #monoxide https://t.co/lDQVQFDK1g

— Cyclism'Actu (@cyclismactu) November 28, 2024

"Coureurs, vous aurez toujours le pouvoir de mettre tous les autres serpents hors d’état de nuire"

Alors l’association de mon imagination, de mon phantasme, de mes craintes, de mes inquiétudes, de mon goût du scandale et des mystères, m’ont entraîné dans cette scénarisation soudaine et fulgurante faisant revivre pour quelques lignes tout un pan de la part grise de notre histoire qui se situe exactement entre les plus grands scandales de nos turpitudes passées et la charlatanerie la plus loufoque de nos errements compassés. Alors que si ça se trouve, le vieux cycliste rencontré n’était pas notre Mabuse, il ne s’agissait que d’un homme lui ressemblant et qui, roulant sur le trottoir, expérimentait un gain marginal, celui qui lui permettait sur le bitume lisse du trottoir, de gagner en vitesse et en économie musculaire par l’évitement des pavés de la rue de Londres.

Mais une fois arrivé place de l’Europe et poursuivant vers la place de Villiers, irait-il tout droit jusqu’à la fameuse Brasserie ? Ou bien tournerait-il à gauche vers la rue du Rocher ? Là où se trouve le Théâtre Tristan Bernard, grand passionné de cyclisme qui dirigea le vélodrome de Buffalo et qui suivit le Tour 1934 pour la presse et qui rendait cet hommage à la grâce des coureurs : "Ce qui nous frappe aussi, c'est la grâce et l'adresse de ces cyclistes : par exemple, quand ils côtoient une voiture de ravitaillement, lâchent leur guidon, enlèvent le boyau usé qu'ils ontautour des épaules et le remplacent par un boyau neuf qu'ils enroulent autour de leur torse... De loin, on dirait des charmeurs de serpents."

Rappelez-vous donc chers coureurs que si vous n’avez plus les boyaux enroulés sur votre buste, vous n’avez rien perdu de votre charme envoûtant et que vous aurez toujours le pouvoir de mettre tous les autres serpents hors d’état de nuire, qu’ils viennent de la rue de Londres ou tout simplement de l’ombre de la rue.

Dopage - Un spécaliste du chrono, triple champion national, positif à l'EPO #UCI #Dopage #EPO #Pologne #Gieryk #Zurich2024 https://t.co/qxCBHAmoFt

— Cyclism'Actu (@cyclismactu) November 28, 2024