Chronique - Guimard : «Netflix sur le Tour de France ? J'aurais dit non»

Cyrille Guimard, de retour pour sa chronique sur Cyclism'Actu ! Quelques jours après le Tour des Flandres, remporté par Mathieu van der Poel (Alpecin-Fenix) et grandement animé par Tadej Pogacar (UAE Team Emirates), Le Druide a livré son analyse du deuxième "Monument" de la saison. Cyrille Guimard s'est également projeté sur les grands rendez-vous des prochaines semaines, avec Paris-Roubaix - et notamment l'éventuelle présence de Pogacar - et les Ardennaises, sur lesquels on attend un grand Julian Alaphilippe (Quick-Step Alpha Vinyl Team). Enfin, l'arrivée de Netflix, dans le cyclisme et sur le prochain Tour de France, a également été abordée en longueur par l'ancien directeur sportif de Bernard Hinault.

Vidéo - Cyrill Guimard après le Ronde et avant Paris-Roubaix 2022 !

 

"Ce n'était pas du super, super Van der Poel"

Globalement, comment vous avez perçu ce Tour des Flandres 2022 ?

On n'est jamais vraiment déçus dans ce genre de courses et là, ça a été une course où personne ne s'est ennuyé, où il y a eu du mouvement et une vraie bataille. Les courses ne sont plus bloquées comme elles l'étaient à un moment, les stratégies commencent à évoluer. C'est lié à la personnalité et au charisme des champions d'aujourd'hui.

 

Il y a deux mois, on ne pensait pas voir Mathieu van der Poel à ce niveau sur le Tour des Flandres...

Les problèmes qu'il rencontrait, on les connaissait à travers les médias, mais sans avoir des précisions. À partir du moment où il a pu reprendre l'entraînement, il avait suffisamment de temps pour retrouver son meilleur niveau. Après Milan-San Remo, où il a fait une place de trois, on savait qu'il avait retrouvé une condition physique nécessaire pour évoluer au plus haut niveau. Ce que je ne sais pas, c'est si Mathieu était à 100%. Je l'ai senti un peu juste dans les deux dernières ascensions, mais il a tellement de talent, de courage et de qualités techniques que ça lui permet d'être à un haut niveau. Mais ce n'était pas du super, super Van der Poel.

 

"Pogacar, c'est l'une des premières fois qu'on le voit perturbé et n'acceptant pas la défaite"

Mathieu van der Poel a été mis dans les cordes par Tadej Pogacar dans les derniers monts. Est-ce que vous attendiez Pogacar à ce niveau sur son premier Tour des Flandres ?

Je n'ai jamais douté un seul instant de sa faculté à jouer les premiers rôles sur un Tour des Flandres. On savait qu'il était au niveau, il vient du cyclo-cross donc il connaît les pavés, il sait tout faire sur un vélo. On dit qu'il faut de l'expérience, mais la chose la plus importante à avoir, c'est de la force dans les jambes. Le numéro qu'il a fait dans l'avant-dernière ascension, le Vieux Quaremont, où il enrhume tout le groupe de tête, ça fait de belles images.

 

Mais comment Tadej Pogacar a-t-il fait pour perdre ce Tour des Flandres alors ? Il était tellement fort...

Il a fait ce que d'autres ont fait avant lui : trop facile, la petite socquette légère qui va bien, on sent que tout le monde est à la rupture... et on oublie d'en garder un petit peu. On en fait un petit peu trop, ce qui avait d'ailleurs été le cas de Van der Poel l'an dernier lorsqu'il s'est fait aligner par Kasper Asgreen. S'il avait un tout petit mieux géré son potentiel énergétique, il aurait dû normalement sortir Van der Poel. Il a failli le faire, mais il n'avait plus assez de force et d'explosivité pour basculer seul en tête.

Ça se joue sur des détails. À mon avis, tout s'est joué au mental de Van der Poel, à ses qualités physiologiques, mais aussi au fait que Pogacar en ait fait un peu trop. Après, le jeu ne demande que faute et on grandit de ses échecs. C'est intéressant car il était fâché à l'arrivée, c'est l'une des premières fois qu'on le voit perturbé et n'acceptant pas la défaite. Mais c'est la marque des grands aussi, qui ne prennent du plaisir que quand il gagne.

⚔�'� Flanders #RVV22#UAETeamEmirates #WeAreUAE pic.twitter.com/YX943zoZeo

— @UAE-TeamEmirates (@TeamEmiratesUAE) April 3, 2022

 

"Christophe Laporte peut avoir des regrets, vraiment"

Du côté des Français, on attendait Christophe Laporte, Anthony Turgis et Florian Sénéchal, et on a eu Valentin Madouas.

Les Français ont été bien présents, et ça faisait longtemps qu'ils n'avaient pas été aussi présents sur une course comme le Tour des Flandres. Valentin Madouas avait accompagné Pogacar dans À Travers la Flandre, donc on savait qu'il était au top. Après, je pense qu'on a presque vécu un exploit avec Christophe Laporte. Il est victime d'une chute, il repart loin derrière, il revient et il vient faire neuvième à l'arrivée. C'était du grand Laporte. Sans sa chute, je pense qu'il jouait dans le final. Il peut avoir des regrets, vraiment. Je pense qu'il pouvait suivre Van der Poel et Pogacar, il avait les jambes pour être avec eux dans le Koppenberg.

 

"Il ne faut pas faire le choix de disputer Paris-Roubaix sur une déception sportive ou affective"

Qu'est-ce que vous pensez d'une éventuelle participation de Tadej Pogacar à Paris-Roubaix ? Le fait d'avoir perdu le Tour des Flandres de cette manière ne pourrait-il pas l'inciter à vouloir le faire alors que ce n'est pas prévu à son programme ?

Ce serait une erreur. Il ne faut pas modifier les choses comme ça quand on a un plan bien établi. Qu'il fasse quatrième ou premier, ça ne remet pas en cause le niveau de Pogacar. Il pourrait y aller, mais s'il fait Paris-Roubaix, la Flèche Wallonne, Liège-Bastogne-Liège... il faut qu'il reste sur les bases qui étaient les siennes. Il ne faut pas faire le choix de disputer Paris-Roubaix sur une déception sportive ou affective. Ça a touché son orgueil de se faire battre, mais je pense qu'il ne faut pas relever ce genre de défi. Et puis, un jour ou l'autre, il y viendra de toute façon. Même s'il trouvait que c'était une course de merde, Bernard Hinault l'avait fait et gagné, et il n'avait pourtant pas les qualités cyclistes qu'a un Pogacar. Sur les pavés, soit vous avez de la force, soit vous n'en avez pas.

 

 

 

"Le taulier aujourd'hui, c'est Julian Alaphilippe, pas Evenepoel"

Après Paris-Roubaix, il y aura les Ardennaises, avec la Flèche Wallonne et Liège Bastogne-Liège, sur lesquelles on attend Julian Alaphilippe. Est-ce qu'on peut être inquiet après son début de saison (interview réalisée avant sa victoire sur la 2e étape du Tour du Pays basque) ?

Pas du tout. Ne vous inquiétez pas, Julian rate rarement les objectifs. Il peut être battu bien sûr, mais il est le personnage central. Après, ça peut rigoler comme ça peut ne pas rigoler. Mais la Flèche Wallonne et Liège-Bastogne-Liège, ça reste ses courses de référence et qui collent complètement à ses qualités. La présence d'Evenepoel à ses côtés ? Le taulier aujourd'hui, c'est Julian, pas Evenepoel. C'est lui qui a le maillot de champion du monde sur le dos. Si Evenepoel peut aller à la gagne et que Julian est un peut court, ça changera des choses. Mais si Julian peut gagner, c'est lui le patron. Evenepoel aura des libertés, mais pas celle de faire perdre Julian.

 

"Egan Bernal, je ne comprends pas"

Certaines voix se sont élevées dernièrement quant au niveau d'Evenepoel. Faîtes-vous partie des déçus par rapport à son début de carrière et faut-il s'inquiéter pour lui ?

Le talent, ça ne disparaît pas. Si ça marche moins bien, ce n'est pas le talent qui est en cause, mais plutôt l'utilisation du talent. Vos qualités génétiques ne s'envolent pas comme ça. Après, c'est au niveau du mental, des différentes motivations, de l'entraînement... Mais ne vous inquiétez pas pour lui, il a encore de belles années devant lui. Si on s'inquiétait pour tous les coureurs français de 22 ans, on ferait quoi ?

 

Egan Bernal fait des progrès fulgurants depuis quelques semaines, on se demande comment il fait pour être déjà sur son vélo...

Alors ça, je ne comprends pas. Est-ce qu'il y a eu une sur-communication sur les blessures ? Je ne sais pas... Il faut tellement se méfier de ce qui est dit. Après, il avait deux milliards de fractures et un mois après, il faisait du vélo. Si vous prenez Evenepoel, qui n'avait qu'une seule fracture, au bout d'un mois, il commençait seulement à poser le pied par terre. Pareil pour Froome, qui n'a jamais réussi à remettre en route. Je me pose des questions, mais le plus important, c'est qu'il retrouve ses qualités d'avant l'accident. Quelle est la vérité par rapport à ce qu'on a entendu. Quelle était la vraie nature des blessures ? C'est de la communication, il ne faut pas se leurrer.

584 km ✔�'�
23 horas ✔�'�
4.000 mtrs de ascenso ✔�'�
Primera semana de entrenamiento 👊🏽 pic.twitter.com/hMgz3UcpdU

— Egan Arley Bernal (@Eganbernal) April 4, 2022

 

"Netflix ? Moi personnellement, j'aurais dit non"

Pour finir, j'aimerais avoir votre avis sur l'arrivée de Netflix dans le cyclisme, avec cette série documentaire sur le Tour de France 2022 (huit équipes vont être filmées avant et pendant le Tour). Comment percevez-vous ce projet ?

Honnêtement, je ne sais pas quoi en penser. La seule chose qui est sûre, c'est que ça va modifier les relations au sein même des équipes. Avec la présence de caméras en permance, on rentre dans une certaine intimité. Les rapports affectifs vont être changés. Indépendamment d'être des cyclistes, ces derniers vont aussi être des acteurs... D'un autre côté, c'est aussi une exposition médiatique. On verra dans trois ou quatre ans si ça a apporté quelques chose. Mais vous amenez quand même quelques chose qui va vous épier 24 heures sur 24, ça peut être perturbant. Moi personnellement, j'aurais dit non. Je n'aime pas cette forme de voyeurisme. Quand on est dans l'intimité d'un groupe, on a besoin d'avoir une véritable unité, et on fonctionne énormément à l'émotion, à l'affectif. Quand vous amenez des caméras, vous n'êtes plus dans l'émotion et l'affectif. Je comprends donc que UAE Team Emirates ait dit non.

🤩 La série composée de 8 épisodes retracera le parcours de 8 équipes du Tour, de la préparation jusqu'aux Champs-Elysées ! ⤵

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— Tour de France™ (@LeTour) March 31, 2022