Interview - Richard Virenque : «Ce que je pourrais conseiller aux Français...»

Par Arthur DE SMEDT le 15/05/2024 à 20:51. Mis à jour le 17/05/2024 à 21:00.
Interview - Richard Virenque : «Ce que je pourrais conseiller aux Français...»
Interview
Photo : @Cyclism'Actu / CyclismActu.net

Richard Virenque et les Jeux olympiques, c'est toute une histoire ! Près de 20 ans après avoir pratiquement conclu sa carrière de coureur cycliste aux Jeux d'Athènes 2004 - il comptabilise au total 3 participations, son meilleur résultat restant sa 5e place à Atlanta en 1996 - le septuple meilleur grimpeur du Tour de France a eu l'honneur de pouvoir porter la fameuse flamme olympique le vendredi 10 mai dernier. Un beau symbole pour le Varois sur ses terres d'adoption, et l'occasion pour Cyclism'Actu de venir aux nouvelles de l'ancien chouchou du public français, très discret dans les médias ces dernières années. Toujours aussi passionné de vélo, Richard Virenque est revenu pour nous et avec son oeil d'expert sur l'évolution du cyclisme, la domination de la nouvelle génération et celle sans partage de Tadej Pogacar sur le Tour d'Italie... mais aussi sur ses projets, sa nouvelle vie, et son envie de renouer avec ce milieu du cyclisme qu'il aime tant. Un Entretien à lire ou regarder en intégralité ci-dessous !

Vidéo - L'Entretien Richard Virenque au micro de Cyclism'Actu

 

Richard Virenque, vingt ans après votre troisième et dernière participation aux Jeux olympiques et la fin de votre carrière de coureur professionnel, vous avez eu l'opportunité de porter la flamme olympique il y a quelques jours, dans le Var. Un beau symobole, qu'est-ce que cela représente pour vous ?

Les JO en France, à Paris, c'est magnifique. J'ai participé à trois olympiades durant mes quinze annnées de carrière, et je suis passé tout proche d'une médaille en 1996 à Atlanta (4e). La flamme parcourt toute la France, et que je fasse partie des 10 000 porteurs, je crois que c'est assez sympa et un beau clin d'oeil qu'on me fait. Les couleurs françaises, je les ai portées bien haut tout au long de ma carrière, c'est donc une belle reconnaissance. En plus, étant Varois, faire ça pour l'entrée de la flamme dans le Var... C'est un coup de nostalgie, même si ça ne dure qu'un court moment, le temps de l'allumer, de faire 300 mètres et de la redonner au prochain relayeur. C'était sympa d'avoir pu vivre ça.

 

Vous nous aviez confié sur le Tour de France 2023 être un peu devenu comme "Monsieur Tout le monde". Que devient Richard Virenque en 2024 ?

C'est clair qu'après avoir été sportif de haut niveau, on peut dire que vous rentrez dans le format de Monsieur Tout le monde. Votre vie n'est plus tournée à 200% vers le sport et l'hygiène de vie. Car pour être sportif de haut niveau et professionnel, il faut comme rentrer dans un couvent, où tout ce que vous faites est pesé et analysé pour optimiser la performance. Forcément, quand vous lâchez tout ça, vous repassez à une vie sédentaire, vous profitez de la vie, vous vous occupez des choses que vous ne pouviez pas faire avant. On se contente et on se cantonne à une autre vie, pour ma part dans les affaires et dans l'immobilier, avec des projets que je mène à bien et qui m'occupent.

 

A côté de ça, je fais toujours du vélo, même si ça dépend des périodes. L'hiver, je laisse le vélo tranquille et je fais d'autres sports. Le vélo, ce n'est plus mon quotidien. Par contre, je fais quelques conférences et autres activités. Chaque année, j'ai également eu la chance de venir sur le Tour de France avec Europe 1, une radio qui me fait toujours confiance. En revanche, c'est vrai qu'en arrêtant mon rôle de commentateur comme j'ai pu l'être pendant 13/14 ans sur Eurosport, je suis moins sur les courses et à l'image, et on a un peu l'impression de disparaître...

Mais bon c'est comme ça, malheureusement je dois faire avec. Même si je ne suis plus dans la lumière sur le bords des routes, je suis toujours autant passionné, je regarde toujours les courses et suis le cyclisme français. Je serai prochainement sur les 4 Jours de Dunkerque, comme j'habite dans la région bruxelloise. J'aurai la chance de conduire une voiture et d'être au coeur de la course grâce à l'organisateur Eric Marchyllie. Je reste donc quand même un peu dans le monde du vélo.

 

"C'est parfois un peu dur pour moi de regarder le Tour de France et d'être à la maison, mais..."

Ça ne vous manque pas un peu ce rôle de consultant à la télévision ?

Quand j'ai arrêté ma carrière de coureur, devenir consultant, c'était une opportunité que j'ai eue grâce à Laurent-Éric Le Lay, à l'époque directeur d'Eurosport. Aujourd'hui, il est clair, en sortant d'Eurosport et en ayant vécu tout ce que j'ai vécu aux commentaires, que c'était une activité qui me plaisait, je vivais ça à fond et on avait de très bon retour. Maintenant, vous savez les places sont chères au poste de commentateur. Il faudrait qu'l y ait des places qui se libèrent, ou alors qu'ils m'ajoutent. En tout cas, ce n'est pas l'option retenue pas la télévision et notamment France Télévision. Je leur ai proposé mes services, mais ils n'ont pas de place pour le moment. Je dois donc me contenter d'être patient, et peut-être qu'un jour, on me fera revenir. C'est la vie qui avance. C'est parfois un peu dur pour moi de regarder le Tour de France et d'être à la maison, mais la passion est toujours là malgré tout.

 

Vous qui suivez encore de très près le cyclisme, quel est votre regard sur son évolution depuis votre retraite il y a 20 ans ?

Tout est devenu plus moderne, plus performant. On utilise toutes les techniques possibles, que ce soit pour les composites, l'entraînement, la diététique... Tout est informatisé, calculé, millimétré. Tout cela existait déjà bien sûr à notre époque, mais rien que pour parler des vélos, ils ne ressemblent plus du tout à ceux que j'ai connus ! Le dérailleur électrique, les freins à disque... C'est génial mais il faut s'adapter. Tout a évolué, ça se bonifie. Je reste admiratif de tout ça, et si je peux hériter d'un vélo nouvelle génération tous les deux ans, vu que je pédale encore un peu, c'est avec grand plaisir !

 

"Je me régale avec cette génération, même si c'est un peu toujours les mêmes qui gagnent..."

Que vous inspirent les Tadej Pogacar, Jonas Vingegaard, Remco Evenepoel, Mathieu van der Poel et autres de cette jeune génération qui domine le cyclisme moderne ?

On a beaucoup de chance, en tout cas d'un point de vue spectateur. Cette génération n'a pas froid aux yeux, elle attaque de loin, elle prend des risques... Ce n'est pas trop calculé, même si ça l'est toujours un peu. Mais c'est une génération qui croque la vie et les courses à pleines dents. Même si c'est un peu toujours les mêmes qui gagnent, ils le font en tout cas avec panache et classe. Ils se mettent en difficulté, et en plus ils vont jusqu'au bout, car derrière il y a ce jeu du chat et de la souris. Donc je trouve que cette génération qui est là, en place, elle nous apporte beaucoup d'un point de vue spectacle. Je me régale.

 

"Pogacar ? On se demande bien qui peut le battre"

Justement, vous n'avez pas peur qu'une certaine lassitude s'installe chez les spectateurs et les coureurs devant cette domination indécente et ces raids en solitaire qui tuent tout suspense bien avant l'arrivée ?

C'est clair qu'un Pogacar, il a la main mise sur toutes les courses où il s'aligne, que ce soit les classiques ou les Grands Tours. Mais il n'est pas à l'abri d'une défaillance ou d'une chute - pas que je lui souhaite bien sûr - et que le dauphin derrière hérite de la tête. En tout cas, il court avec panache. Même s'il a course gagnée et qu'on se demande bien qui peut le battre, il prend des risques. Et peut-être qu'en prenant ces risques-là... On se souvient sur le Tour de France, il devait le gagner plein de fois, et un certain Jonas Vingegaard est arrivé et lui a claqué la porte ! Il est tombé sur un os.

Vous savez, des coureurs très dominants, il y en a toujours eu, dans toutes les générations. J'ai connu la génération Miguel Indurain, puis après celle de Jan Ullrich et Bjarne Riis, celle de Lance Armstrong... donc voilà, à un moment donné, à chaque génération, on doit faire avec un coureur qui a la suprématie, et il faut être patient pour pouvoir essayer de le battre.

 

"Le cyclisme français se porte plutôt bien"

Et la génération française au milieu de tous ces cadors ?

On peut en espérer beaucoup. Je trouve que sur les Classiques, le cyclisme français se porte plutôt bien. On le traite d'ancien désormais, mais Romain Bardet a fait de belles choses, notamment sur Liège. Et là, il retrouve un peu ses jambes sur le Tour d'Italie. Après, il suffit de prendre l'exemple de Valentin Paret-Peintre, qui est devant, qui ose et qui est récompensé. Je trouve aussi que depuis le début de l'année, l'équipe Decathlon AG2R La Mondiale de Vincent Lavenu a le vent en poupe ! Ils se sont transformés, peut-être grâce au nouveau sponsor, au vélo ou aux recrues. Ils sont rentrés dans une spirale positive, tout leur réussit. Il faut en profiter, et ils le font pleinement pour le moment.

Toutes les équipes françaises se donnent à fond et tentent de tirer leur épingle du jeu, dans ce cyclisme qui va très vite et est de plus en plus concurrentiel et international. C'est sûr qu'on est parfois un peu déçu que les Français ne soient pas aux avant-postes. Mais ils arrivent à trouver l'ouverture, comme là sur le Giro ou les Classiques, et j'espère sur le Tour de France 2024.

 

"Lenny Martinez ? Il faut faire attention de ne pas se brûler les ailes à courir après des contrats..."

Parmi les pépites du cyclisme français, on parle beaucoup de Lenny Martinez cette saison, et notamment des rumeurs qui l'envoient de manière insistante à l'étranger et chez Bahrain Victorious. Est-ce que vous comprenez ce choix et est-ce obligatoire pour vouloir un jour espérer remporter le Tour de France ?

Obligatoire... Je suis bien placé pour en parler, puisque j'ai démarré dans un équipe française, la RMO, qui a fait faillite. Je n'ai pas eu le choix de partir, on a créé l'équipe Festina. J'ai donc toujours vécu dans des équipes étrangères. Ce n'était pas un choix, juste mon destin. Dans le vélo, il faut savoir prendre sa valise et aller là où il faut. Il ne faut pas rester dans un cocon un peu trop chaud où on pourrait s'endormir. En revanche, quand on est bien dans un équipe et que tout se passe bien, je ne conseillerais pas de partir. Je vais prendre pour exemple Julian Alaphillipe. Quand il a commencé à faire des prouesses chez Quick-Step, il est resté là-bas, et on a vu ce que ça a donné, champion du monde à deux reprises. C'était donc la bonne tactique de rester.

Quand on est jeune, on est aussi galvanisé par la notoriété, l'argent... Tout ça arrive très vite, voire trop vite. Il faut avoir un entourage très solide, parce que sinon... Dans une carrière, on court après nos rêves et nos objectifs sportifs, mais pas après des contrats. Il faut faire attention de ne pas se brûler les ailes à courir après. On m'a toujours dit : si tu veux gagner de l'argent, occupe toi déjà de faire des résultats, et l'argent suivra automatiquement. C'est ce que je pourrais conseiller aux jeunes par rapport aux décisions que certains pourraient prendre.

 

Pour conclure cet entretien et rester dans votre actualité : un petit pronostic pour l'épreuve sur route des JO de Paris 2024 ? Votre vainqueur coup de coeur ?

Je crois que l'année 2024 est celle de Tadej Pogacar. Je pense que ce sera le grand favori de ces Jeux. Car on a un parcours exigeant, très difficile, il faudra être très costaud. Et comme il fait un peu la pluie et le beau temps dès que c'est dur, je crois que ce sera l'homme à battre. Mon champion olympique coup de coeur, ce serait d'avoir au premier plan Julian Alaphillipe. Après ses prouesses aux Mondiaux et ses récentes saisons en berne, je lui souhaite que l'étincelle revienne en région parisienne, avec une médaille d'or. Ce serait un super retour.

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