INTERVIEW - Cyrille Guimard : «Cofidis et Arkéa n'ont pas leur place en WorldTour»

Bonjour Cyril, je sais que tu voulais aborder avec nous quelques sujets, notamment un sujet qui te tient à cœur en tant qu'ancien sélectionneur de l'équipe de France : l'état du cyclisme français actuel, qui vit un début de saison assez compliqué. Est-ce qu'en quelques mots tu peux un peu nous donner tes impressions sur ce début de saison ?

Oui effectivement c'est pas la première fois qu'on se rencontre dans ces circonstances. Maintenant je suis un observateur un petit peu plus en retrait mais pas obligatoirement totalement à la retraite, et depuis le début d'année je trouve que le cyclisme français est un petit peu en recul. Et les chiffres d'ailleurs le démontrent. Les différents classements UCI, que ce soit à titre individuel, à titre collectif, font qu'aujourd'hui on peut être inquiet sur l'évolution du cyclisme français et surtout de la présence des Français. Car on a une présence très forte sur les Coupes de France, mais les Coupes de France sont des courses un petit peu franco-française, c'est le seul endroit où on a des Français, 4, 5 voire 6 Français dans les dix premiers. Mais lorsqu'on va sur les épreuves de plus grande envergure, on se rend compte qu'on ne pèse pas sur la course. Le nombre de top 10 depuis le début d'année, je dis bien de top 10, est relativement rare, et on en a également très très peu de top 5. C'est peut-être un petit peu ça qui est le plus alarmant.

Juste pour donner quelques chiffres aux gens qui nous écoutent, il y a tout simplement eu trois podiums français sur les courses Worldtour (en dehors des étapes sur les courses par étapes bien sûr). C'est Paul Magnier sur l'Omloop qui finit deuxième, Kevin Vauquelin sur la Flèche Wallonne deuxième aussi, Et Lenny Martinez deuxième du Tour de Romandie. On est quand même sur des résultats assez pauvres sur des courses de très haut niveau du Worldtour. Oui c'est vrai qu'en dehors de Vauquelin, sur les courses d'un jour, on n'est pas présent, au Tour des Flandres, Paris-Roubaix, même Milan-San Remo... Mais même les classiques en dessous des Monuments, on n'est pas dans les classements et c'est là où quand on fait le bilan, oui la France est en nette recul.

Et on a également un classement des nations où la France était quatrième, et aujourd'hui elle est huitième. Elle vient de revenir à la huitième place, parce qu'elle était neuvième peu avant, mais par rapport aux Anglais on n'a plus qu'une centaine de points d'avance ce qui fait qu'on risque très rapidement de se retrouver neuvième ou dixième nation. Donc ça, ce sont des faits, on me dit toujours les faits ça ne se discute pas, ça peut se commenter. Mais non, là on est quand même très mal même si on a certains éléments, mais on en parlera peut-être après, certains éléments qui nous font garder un peu d'espoir sur l'avenir (on l'a déjà cité, il y a Lenny Martinez qui est incontestablement celui qui a été le meilleur depuis le début de l'année).

Pour revenir un peu sur ces chiffres du classement UCI des nations, on était meilleure nation tout simplement en 2020, et puis ça a été un peu la dégringolade, troisième en 2021, troisième en 2022, 2023 à la cinquième place, 2024 quatrième, et là cette année sur 2025 on est huitième. Qu'est-ce qui explique selon toi justement cette rétrogradation du cyclisme français en cinq ans, passer de la première à la huitième place c'est quand même un peu inquiétant ?

Oui c'est inquiétant, on ne passe pas de la première à la huitième place sur ce type de classement sans que ce soit inquiétant, ça veut dire qu'on n'est plus présent. Alors c'est vrai que si on prend 2020, 2021, on avait Julien Alaphilippe qui marquait un maximum de points pour la France, mais bon Alaphilippe maintenant il est un petit peu rentré dans le rang, il marque très peu de points et donc progressivement on recule. On pouvait penser que Valentin Madouas aurait été un peu plus performant depuis sa médaille d'argent aux Jeux Olympiques, mais sur l'ensemble de ce début de saison il a été inexistant.

Mais bon voilà, ça ne peut être qu'inquiétant parce qu'on a des équipes qui également reculent au classement par équipe, c'est à dire que les teams françaises reculent, et si on regarde bien on risque peut-être d'avoir la saison prochaine que deux équipes en WorldTour, c'est à dire Decathlon et Groupama. Cofidis est menacée, il leur reste 250 points d'avance sur Astana, et à peu près la même chose sur Picnic PostNL. Je ne sais pas si Cofidis pourra se maintenir en WorldTour. Toutes les flèches vont vers le bas, il n'y en a pas une qui va vers le haut.

Mais pour Arkea, pour Cofidis, est-ce que ce n'est pas tout simplement leur place d'être parmi les meilleures équipes Pro team, sans forcément avoir le niveau pour être en WorldTour ?

Est-ce qu'ils sont à leur place en tant que World Teams ? C'est la question qu'on peut se poser.  Aujourd'hui non, c'est évident même s'il y a un petit sursaut au niveau de Cofidis. Surtout lié à leur spinteur belge (Milan Fretin, ndlr) qui a marqué lui un maximum de points qui les ont maintenus encore dans le groupe des 18 équipes. Mais Fretin, est-ce qu'il va à lui tout seul sauver l'équipe ? Je ne pense pas. Si on prend Astana, ils sont en tête du classement de la montagne au Giro et les points du classement de la montagne font qu'ils vont pratiquement se retrouver à égalité avec Cofidis. Sans parler des différents points pris soit sur les étapes, soit sur le classement général final.

Au niveau des équipes, l'année dernière on avait une très grosse équipe Decathlon qui avait fait une superbe année et qui avait terminé dans les six premiers du classement UCI. Cette année c'est un peu plus compliqué pour eux, même s'ils sont quand même 11e du classement, ça reste solide. Groupama est 13e. Ce sont vraiment les deux locomotives du cyclisme français mais qui ne sont pas non plus des supers Teams. Sans parler de l'équipe UAE, qui est bien sûr une super puissance au niveau des points et intouchable, on n'a pas d'équipe au niveau d'INEOS, de Visma, de Lidl, de Red Bull - Bora. On n'a pas ces équipes là en France.

Non, on n'a pas les coureurs et on n'a pas la puissance collective pour pouvoir jouer dans le top 5 aujourd'hui, dans le top 10 peut-être. Puisque Decathlon l'an dernier avait réussi. C'était un peu une année exceptionnelle pour Decathlon, qui a surperformé. Oui, il y a eu pas mal de choses qui ont été remises en cause dans l'équipe. Ça a créé un boost et une motivation. Et c'est vrai qu'ils ont remporté un certain nombre de victoires. Mais ne nous trompons pas, la plupart des victoires n'étaient pas dans les courses WorldTour, ou très peu. C'était souvent, là aussi, les courses franco-françaises où ils ont cartonné. Comme ça a été le cas d'ailleurs il y a une quinzaine de jours sur les épreuves Coupe de France en Bretagne, entre autres. Mais pour pouvoir monter à l'étage au-dessus, il faut aller marquer des points en World Tour. Mais pour l'instant, on n'a pas la maille.

Et si on regarde d'ailleurs le premier coureur étranger d'équipe française, c'est Stefan Küng, qui est tout simplement 34e. C'est le premier coureur d'une équipe française dans le classement UCI. Donc c'est-à-dire que même les étrangers qui sont dans les équipes françaises... est-ce que c'est un problème des équipes françaises, un problème de management, un problème de motivation ? On pourra toujours dire qu'il peut y avoir un problème d'ordre financier. On n'a pas les mêmes budgets que les équipes étrangères, on peut le dire. Les équipes comme UAE, Bahrain, INEOS, c'est difficile d'arriver à leur niveau. Mais il y a d'autres équipes qui n'ont pas ces budgets-là et qui tournent relativement bien, ne serait-ce que comme Soudal par exemple. Ou Alpecin. Donc c'est vrai, les moyens français sont limités. Il faut quand même ajouter que la France est championne du monde des charges et que le coût d'un employé, le coût d'un coureur cycliste en France, à égalité de valeur, n'a pas le même coût. Donc ça grève aussi en partie les budgets. Et la question qu'il faut se poser, est-ce que les groupes français, les équipes françaises ont intérêt à rester en France ? That is the question. Et on peut se poser la question.

On entend beaucoup de rumeurs, on est un peu dans la période des rumeurs de Mercato. On entend notamment Decathlon qui serait sur beaucoup de dossiers, notamment Kevin Vauquelin, on a entendu Ilan Van Wilder, Olav Kooij, Tiesj Benoot. Est-ce que Decathlon pourrait justement passer ce cap-là et rester pendant plusieurs années une équipe solide du top 5-6 mondial ?

Oui, il n'y a pas de souci. Soit on va dans un pays où les charges sont moins importantes, ce qui permet d'avoir plus de budget pour aller chercher justement dans le cadre du Mercato des coureurs d'une autre pointure, ou tout simplement essayer de desserrer le cordon de la bourse et puis de dire bon, il faut combien pour qu'on soit dans les cinq premiers, voire dans les trois premiers. Il faut 40, 45, 50 millions. On met ou on ne met pas. Mais si on veut jouer là-haut, il n'y a pas 50 solutions.

J'ai déjà eu l'occasion de le dire, mais en France on a aussi une vision du sponsoring qui me paraît un peu obsolète compte tenu du retour sur investissement tel qu'on peut le constater depuis des années. C'est-à-dire vous mettez 25 millions, vous allez avoir pour 25 millions de retour sur investissement. Vous mettez 10 millions de plus, c'est 75% que vous allez avoir. C'est-à-dire que, ou vous mettez le budget nécessaire pour être devant, mais vous ne dites pas : je ne mets que 25 millions, mais je veux être devant. C'est un problème tout simplement de bon sens. Si on veut aller chercher le maximum de retour sur investissement, il faut être dans les trois premiers. Pour être dans les trois premiers, le budget c'est combien ? Parfois, si vous mettez 10% de plus, vous avez 100% de plus de retour sur investissement. Mais ce n'est pas la culture française.

On dit vous avez un budget, vous ne devez pas le dépasser. Oui, mais il y a un tel, si on peut l'avoir, l'équipe va prendre 15% de plus de puissance. Ou tel coureur, on ne peut pas le garder. On est donc obligé de laisser partir. Ce sont des choix qui sont faits par les équipes françaises et qui ne correspondent pas à la réalité du terrain. La communication, il faut mettre le prix pour l'avoir. Le retour sur investissement, il faut mettre le prix pour l'avoir. Sinon, on joue dans le deuxième peloton. On sert de faire valoir aux grandes équipes.

Je pense qu'on a assez évoqué le cas des équipes, mais là où on peut aussi noter une régression des Français, c'est au niveau individuel tout simplement. Là où on avait encore il y a quelques années des Julian Alaphilippe, Thibaut Pinot, Romain Bardet qui étaient constamment dans les meilleurs places au classement UCI. Là, le meilleur français est 42e, Romain Grégoire. On n'a pas un français parmi les 40 premiers mondiaux. Par contre, ce qu'on peut noter aussi, c'est qu'on a une grosse densité de coureurs juste après. Par exemple, entre 40 et 70, on a 10 coureurs, mais on n'a pas de top coureurs. C'est assez étonnant d'avoir une homogénéité, mais pas de coureurs qui sortent du lot (pour l'instant, en attendant peut-être les Seixas, les Martinez et compagnie).

Oui, mais c'est un petit peu logique. Comme je dis, on a un circuit de course en France qui permet de marquer un maximum de points sur des courses françaises. Et sur des courses françaises, la plupart du temps, moins de 50% des équipes sont du WorldTour. Et quand c'est des équipes WorldTour, ils viennent avec l'équipe réserve. Ils viennent avec la deuxième équipe, voire avec la Conti. Donc, c'est des courses au niveau français où les Français marquent un maximum de points. Et comme on n'a pas de grands leaders aujourd'hui, un coup c'est Pierre, un coup c'est Paul, un coup c'est Roger. Ce qui fait qu'on se retrouve avec une densité de coureurs, comme tu l'as évoqué, entre la 50ème et 70, 75ème place.

Mais à aucun moment, on pèse sur la course. Et j'ai envie de dire, au-delà de la 40ème place, on s'en fiche. On s'en fiche complètement. C'est pas ces coureurs-là qui vont faire la différence en WorldTour. Il faut être présent sur les Grands Tours et dans les WorldTour. Pour ça, il faut des coureurs qui ont le talent, qui ont les watts. Mais sinon, vous servez de faire valoir. C'est tellement évident.

Et qu'est-ce qu'il nous manque justement pour avoir ce coureur, sans dire le nouveau Pogacar, parce qu'il n'y en aura peut-être jamais d'autre aussi fort. Mais pour avoir un coureur qui est tout au long des années dans le top 10-15 mondial, qu'est-ce qu'il nous manque ? C'est l'éthique ? Sans parler même d'équipe française, pourquoi il n'y a pas de Français ?

Il faut peut-être poser la question aux dirigeants de la fédération, ils vont vous répondre. Là, tu abordes un sujet que je n'ai pas du tout envie d'aborder. On sait comment ça fonctionne. C'est très bien. De toute façon, ils sont contents. Ils sont capables de dire qu'on a neuf médailles aux JO. Oui, d'accord, mais pas une qui est liée à la fédération. Toutes les médailles qui ont été obtenues aux Jeux olympiques l'ont été par des coureurs qui étaient dans des teams pro, que ce soit en VTT, en BMX, sur la route, même sur la piste. Même la seule médaille sur la piste, c'est un coureur de Cofidis. Alors bon, c'est peut-être chez eux qu'il fallait poser les questions. Puis si vous posez la question au président, Callot vous dira que pour lui, le plus important, c'est les Mondiaux en Haute-Savoie, les super championnats du monde. Mais bon, ce n'est plus mon problème, ce n'est plus mon sujet.

Jusqu'à présent, on a vu le verre à moitié vide. Est-ce qu'on peut le voir à moitié plein en pensant à cette nouvelle génération qui arrive de coureurs jeunes ? On parle de Grégoire, de Martinez, de Vauquelin, ou des coureurs encore plus jeunes qui arrivent, on pense notamment, à Paul Seixas, à des Aubin Sparfel, Léo Bisiaux... Est-ce qu'on a quand même des motifs d'espoir pour le futur et avoir 2-3 coureurs qui pourraient s'installer parmi les 15-20 meilleurs coureurs mondiaux ?

Oui, c'est peut-être le soleil de demain. C'est vrai que les Léo Bisiaux, Seixas, Sparfel et 2-3 autres jeunes ont démontré qu'ils avaient des qualités. Mais c'est plus au niveau de Seixas et de Bisiaux que les espoirs sont réels. D'abord, d'une part parce que ce sont des garçons que l'on suit déjà depuis junior 1 et que l'on a vu progresser, surtout et grâce au cyclo-cross, où ils ont acquis et développé des qualités qui leur permettent aujourd'hui, comme Paul Seixas, à 18 ans, de pouvoir exister dans les grandes courses pro, en étant acteur. C'est vrai également pour Léo Bisiaux. Sparfel, il faudra attendre encore, c'est aussi un très bon cyclo-crossman, on l'a vu sur la Coupe de France à Quimper où il s'est imposé. Ce sont des coureurs qui demain peuvent venir, je pense, même pour Seixas, dans les 10 meilleurs mondiaux d'ici deux ans ou trois ans.

Sauf qu'il faut quand même mettre un tout petit bémol, c'est qu'en même temps qu'on a ces deux ou trois coureurs qui arrivent, on a la même chose à l'étranger. Donc lesquels progresseront assez pour y être ou pas, dominés ou pas ? Je croise les doigts, ça serait bien qu'on retrouve des grands champions pour redonner un peu de lustre au cyclisme français. Parce que si au niveau professionnel ça ne va pas très bien, quand on regarde tout ce qui se passe au niveau amateur, ce n'est pas beau non plus.

Petite conclusion, tu me dis si tu es d'accord avec moi. Pour faire simple, on a quand même une bonne homogénéité des coureurs français. Quelques équipes sont bien sûr en difficulté, on pense notamment à Arkea, à Total qui, au niveau du sponsoring, on ne sait pas trop ce qui va se passer. La Cofidis est aussi en danger au niveau de la relégation. Ce qui nous manque surtout, hormis ces équipes là, c'est 2 ou 3 coureurs qui sortent du lot, des grands champions. Même si on a bien sûr l'espoir dans le futur que des Seixas ou autres Martinez ou Vauquelin passent ce cap.

Je pense que pour cette année, il faudra surtout se remettre en cause. Parce qu'on voit sur le Tour d'Italie qu'on est inexistant, à part Romain Bardet qui est présent, mais ensuite on est quand même absent des vrais débats. Le Tour de France, je n'ai pas le sentiment qu'on ait un français ou plusieurs français capables de jouer dans le top 10. Donc on va continuer à regarder Pogacar, Vingegaard et les autres. On va espérer, comme chaque année, une victoire d'étape, deux ou trois. Mais il ne faut pas rêver non plus. Je crois que pour les équipes françaises aujourd'hui, et Decathlon a commencé à le faire depuis l'an dernier, il faut revoir le modèle économique et le modèle sportif et être capable d'avoir la volonté politique de mettre en place les structures qu'il faut, y compris sur le plan humain. Parce que n'oubliez pas que les coureurs c'est une chose, mais quand une équipe ne tourne pas, ça veut dire que c'est au-dessus que ça ne tourne pas bien.