INTERVIEW - Cyril Saugrain: «Les organisateurs subissent trop de pression»
Vainqueur d'étape sur le Tour de France, Cyril Saugrain est ensuite devenu commentateur sur la RTBF avant de se lancer dans un nouveau défi cette année et de devenir manager général de l'équipe Van Rysel-Roubaix. Si les résultats sportifs de cette saison n'ont pas été à la hauteur des espérances, le patron de l'équipe française a une vision à long terme et des rêves de Paris-Roubaix plein la tête. Au micro de Cyclism'Actu, il partage son projet et sa vision du cyclisme mondial. Avant que l'AIOCC (Association internationale des organisateurs de courses cyclistes) ne tienne son assemblée générale ce vendredi à Copenhague (Danemark) où elle a élu son nouveau président et bureau.
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"L'objectif est de gagner Paris-Roubaix"
Bonjour Cyril. Déjà, on va prendre de vos nouvelles, comment ça va et quelles sont les news de votre côté ?
La dernière fois, on était dans les prémisses des discussions que je pouvais avoir pour arriver sur ce poste de manager général du Véloclub de Roubaix et de l'équipe Van Rysel Roubaix. Et voilà, les choses se sont concrétisées, tout a évolué dans le bon sens, donc depuis le 1er mars 2025, je suis sur ce poste de manager général du Vélo Club de Roubaix et de l'équipe Van Rysel Roubaix et j'en apprends tous les jours, ça faisait 20 ans que j'avais quitté le monde du cyclisme professionnel. Je suis juste hyper ravi de vivre ce moment, ce nouveau projet dans une carrière, c'est très chouette, enrichissant, puisque le Véloclub de Roubaix reste une association et au sein de cette association, il y a aussi une équipe cycliste professionnelle, c'est juste extra.
Justement, cette première année en tant que patron de ce Véloclub de Roubaix et de l'équipe Van Rysel-Roubaix, en termes sportifs, est-ce que c'était une année réussie ?
Non, il faut être transparent. On a su débriefer avec Daniel Berbrakel, qui était manager général, on s'est réparti les rôles cette saison. J'ai découvert un métier et un environnement, donc on a travaillé ce qu'on va appeler dans un mode de passation. On n'a pas eu les résultats sportifs escomptés, malgré une année 2024 extraordinaire, avec les résultats de Samuel Leroux et une belle présence de l'équipe sur les différents objectifs.
On a quand même eu pas mal de pépins auxquels on ne s'attendait pas. On salue toujours l'attitude très offensive de l'équipe avec Kevin Avoine, bien évidemment Maxime Jarnet et surtout Kenny Molly qui s'est distingué aux avant-postes. Je crois même qu'il finit dans les cinq premiers des coureurs ayant réalisé le plus de kilomètres en échappé. Ca ne peut pas être un objectif en soi, mais c'est de la visibilité et ça se prend. Bien évidemment on attend toujours plus, mais ça nous permet d'appréhender nos faiblesses de la saison passée, pour construire au mieux l'effectif 2026.
"On a la chance d'avoir un cyclisme qui a changé"
Et justement, là vous faites une passe décisive, qu'est-ce qu'on attend de l'année 2026 du côté de Van Rysel-Roubaix ?
On a commencé par donner une forme à ce projet puisqu'on est parti jusqu'en 2029. Maintenant, avec notre partenaire Van Rysel, on structure des choses, notamment ce nouveau recrutement, qui nous permettra d'être présents dans les arrivées massives, qui est quand même une grande majorité de arrivées chez les pros. On va garder cette identité offensive, on va marteler cette identité flandrienne, homme du nord, dans nos recrutements. On n'est pas allé chercher des grimpeurs, alors on sera peut-être en difficulté sur certaines courses, mais on sera en mesure de briller sur toutes les épreuves flandriennes et nordistes auxquelles on prendra part.
Comme toutes les équipes, on a des objectifs, gagner des courses, briller sur les Coupes de France et fulgurer sur les courses du nord notamment les quatre jours de Dunkerque, l'objectif majeur de la saison. Le but c'est monter en ContiPro la saison prochaine. Vous me direz Cyril, ça ne dépend pas que des résultats, vous avez bien raison, ça dépend aussi et surtout du budget, c'est mon boulot, celui du staff et du pôle marketing.
Justement par quoi ça passe d'un point de vue administratif puisque les gens qui regardent le vélo ne le savent pas forcément, quels sont un peu les prérequis pour accéder à cette deuxième division mondiale ?
Le prérequis numéro 1 c'est de faire un projet. On ne monte pas pour le plaisir de monter, mais pour atteindre un objectif. On s'est donné 4 ans pour le faire. Le projet ContiPro va concrétiser nos rêves de participer et triompher sur Paris-Roubaix. En effet, quand on prend le départ d'une course, notre seul objectif, c'est de la gagner. Vous me direz : gagner Paris-Roubaix ce n'est pas simple. Non c'est loin d'être simple, mais si on ne se met pas d'objectifs, on a encore plus de chances de ne pas réussir.
Puisqu'on se projette sur 4 ans, il faut toujours voir au-delà et se dire qu'on construit ce projet pour qu'il perdure... On ambitionne que 50% de notre structure, soit composée de jeunes des Hauts-de-France et d'autres issus du projet académique. Que signifie projet académique ? Ça veut dire que demain, on pourrait très bien avoir un jeune, issu d'une autre région, mais qui pour des raisons de projet, qui aime les classiques, rejoigne un jour un club des Hauts-de-France.
Bon, maintenant, on va un peu dézoomer de votre équipe Van Rysel-Roubaix, parler un peu du cyclisme mondial. On sait que vous avez été coureur, que vous êtes consultant pour nos confrères de la RTBF. Vous avez aussi une vision globale du cyclisme. Un petit récap sur la saison 2025, qui a été archi-dominée par Tadej Pogacar, et même plus en général par l'équipe Emirates ?
Je dirais, si on regarde le côté positif, et c'est comme ça qu'il faut déjà le voir, on a la chance aussi d'avoir un cyclisme qui a changé, un cyclisme offensif. Je me réjouis de voir ça. Pour avoir commenté plusieurs courses pour la RTBF et notamment le Tour, je peux dire que la gestion de la course a changé. La course n'était pas défensive, mais on travaillait beaucoup pour ses leaders, on les emmenait le plus loin possible, on essayait de tout cadenasser pour contrôler la course. Là, elle l'est, mais on a quand même la chance d'avoir des Mathieu Van Der Poel, des Bernal, des Pogacar, des Pidcock et autres qui sont des dynamiteurs de peloton et qui n'hésitent pas à prendre des initiatives. On a aussi la chance de vivre l'émergence, en tous les cas maintenant l'éclosion au plus haut niveau, d'un champion intergénérationnel. C'est-à-dire qu'on a des champions qui ont marqué leur époque, des coureurs qui ont été très forts, mais là on est quand même en train de vivre, avec ce Pogacar, un mec qui est en train de se dire : « Ok, est-ce que je postule aux meilleurs cyclistes de l'histoire ? »
"Sur les Mondiaux, il y avait une autre course devant"
Justement, on a eu Thomas Voeckler il y a quelques jours qui nous disait que Pogacar est exceptionnel, c'est magnifique ce qu'il fait, mais d'un autre côté c'est ennuyeux, parce que les courses sont pliés à 80 km de l'arrivée. Est-ce que vous rejoignez un peu son analyse ?
Je rejoins à 100% l'analyse de Thomas sur ce point. Ce qui est dommage c'est qu'on vit des grands moments, mais rappelez-vous, des épopées où Merckx partait seul à 100 km, il y en a eu un paquet aussi. Forcément, quand on regarde les championnats du monde, quand on regarde les championnats d'Europe, parfois ça tue un peu la course. Il y avait une course devant avec ce mec, qui se baladait, et qui a un petit peu dominé. Donc ça, c'est vraiment dommageable, mais on a un mec qui domine, on ne va pas on plus se dire que ce n'est pas bien. Je pense qu'il faut trouver le bon côté des choses.
On a beaucoup évoqué ce sujet dans les dernières semaines, en général, la santé du cyclisme mondial qui interroge. On a deux équipes, l'équipe Arkea B&B Hôtels qui disparaît. On a l'équipe Lotto et l'équipe Intermarché qui, il n'y a encore rien d'officiel, devraient fusionner. Donc, ça fait deux équipes de top niveau qui disparaissent, donc 60 coureurs sur le carreau, le staff et compagnie. Est-ce que vous êtes un peu inquiet pour la santé du cyclisme mondial, quand on voit qu'il y a deux grosses équipes qui disparaissent ?
Moi, je suis inquiet pour la santé du cyclisme chez les amateurs et chez les jeunes. Je ne suis pas inquiet du cyclisme chez les pros. Le budget d'UAE, il n'est jamais à challenger. Moi, tous les clubs, et le travail qu'a pu faire Denis Berbachel pendant des années, c'est de boucler des budgets. Et en fait, c'est problématique pour les petites équipes comme nous. Boucler des budgets, c'est compliqué. On est en train de restructurer le cyclisme chez les juniors. On est en train de dupliquer ce qu'on a fait il y a quelques années, et qui a mis à défaut et mis en difficulté le cyclisme amateur des Nationaux, le National 1, par exemple. On est en train de se dire, "ok, on va voir si ça marche mieux si on le fait chez les juniors". Mais en fait, en faisant la même action qu'il y a quelques années chez les amateurs et qui a mis le cyclisme amateur des fois en difficulté, j'imagine bien que si on le descend chez les juniors, on va mettre en difficulté ce projet.
Ce n'est pas parce que tu ne passes pas pro à 19 ans dans une World Tour que ta carrière est terminée. Tu peux très bien passer par une Conti, (16:29) tu peux passer par une Conti pro, puis à 25 ans être encore plus mature et passer dans une nouvelle World Tour. Une carrière, ce n'est pas à 19 ans qu'elle se fait. Et moi, j'entends trop de jeunes qui aujourd'hui se disent que s'ils ne sont pas dans une Conti, c'est terminé. Mais dans leur esprit, c'est la réalité parce que le cyclisme, on est en train de le structurer comme ça.
On a aussi un débat qui fait beaucoup de bruit ces derniers jours. On a parlé de droits TV dans le vélo que les organisateurs, notamment les grands organisateurs, ne faisaient pas profiter aux équipes, aux coureurs. On a aussi parlé de faire payer quelques endroits de la course. On a parlé notamment de l'Alpe d'Huez payant pour le public. Ça a fait beaucoup de bruit. ASO a un peu dit que les courses payantes on pouvait oublier, en tout cas pas sur le Tour de France. Quel est votre avis là-dessus ?
Si demain vous me dites qu'il y a des droits télé et qu'il y a X millions d'euros qui sont reversés à UAE, ça ne changera pas leur projet. Donc il faut trouver comment redistribuer cet argent-là, jusque dans les échelons inférieurs qui ont des besoins réels. Mais je me dis, est-ce que si ils doivent être reversés, c'est bien de le reverser aux équipes ? Ou est-ce que c'est bien de le reverser aux équipes pour qu'elles les reversent dans ce qui va permettre de faire vivre le cyclisme, le cyclisme amateur et ainsi de suite ? C'est une réflexion. Donc, en fait, nous, on doit être aux côtés des organisateurs, on ne doit pas les mettre sous pression, on doit se dire que c'est grâce aussi aux organisateurs qu'on vit. Mais je pense que c'est un sujet qui est très très complexe. Si cet argent-là pouvait revenir vers les plus petites structures et le cyclisme amateur, ça serait forcément une bonne chose.

Wout van Aert a testé son matos sur les pavés de Paris-Roubaix