Chronique - Cyrille Guimard : «Paris-Nice, ça reste prestigieux mais...»

"Le parcours de Paris-Nice me séduit"

Cyrille, Paris-Nice, la première grande course par étapes de la saison, commence dimanche. Que pensez-vous du parcours ?

Ce Paris-Nice me plaît bien. La première raison, c'est qu'il n'y a pas de prologue, je hais les prologues, ça bloque la course dès le premier jour. Sur le parcours, je le trouve bien équilibré, on a trois premières étapes pour les sprinteurs, ensuite un petit contre-la-montre de 13 kilomètres. Je suis toujours un peu mal à l'aise avec des contre-la-montre de 10-15 kilomètres, je pense qu'une course d'une semaine mérite plus, donc ce chrono n'aura pas une incidence énorme sur le classement général. Enfin, on a une arrivée sur le col de Turini où le classement se fera je pense, même si la dernière étape sera très intéressante, sans un mètre de plat, et tout pourrait être remis en cause le dernier jour. Donc ce parcours me séduit.

"Fabio Jakobsen, c'est un méchant coursier"

Il y aura aussi du beau monde au départ, même s'il manque Julian Alaphilippe, qui privilégie les courses italiennes...

Il manque Alaphilippe, mais bon, avec Tirreno il y a deux épreuves en même temps qui sont du même niveau et qui ont les mêmes incidences sur la suite du calendrier, donc les équipes doivent partager les différents leaders. Sur ce Paris-Nice, on aura un beau plateau avec Van Aert, Roglic et Laporte pour la Jumbo-Visma, il y aura McNulty et Almeida pour UAE Team Emirates, Vansevenant pour Quick-Step Alpha Vinyl, Wout Poels pour Bahrain-Victorious... Il y aura Maximilian Schachmann qui vise le triplé, les frères Yates, et côté français on a Pierre latour, David Gaudu, Guillaume Martin, c'est ce qu'on fait de mieux derrière Julian Alaphilippe, et pour les équipes françaises on a O'Connor et surtout Quintana, qui promène son vélo depuis le début de l'année. Donc on a vraiment un plateau intéressant, la course ne sera pas figée. Mais pour moi, les grands favoris restent quand même Van Aert et Roglic.

Il ne faut pas oublier les sprinteurs. Il n'y a pas Démare, mais il a montré quelques limites depuis le début de l'année. Sinon, on a Mads Pedersen, Fabio Jakobsen, qui domine le sprint actuellement, Jasper Philipsen, Sam Bennett, Sonny Colbrelli, Matteo Trentin... Et côté français, il y aura Rudy Barbier et Bryan Coquard, voire Christophe Laporte, même s'il devra travailler pour ses leaders. Donc on aura un très beau plateau avec de belles arrivées au sprint.

Vous évoquez Fabio Jakobsen, probablement le meilleur sprinteur du monde en ce moment. Êtes-vous impressionné par son niveau, lui qui a frôlé la mort il y a un an et demi ?

C'est beau ce qu'il fait après son accident. Physiologiquement, il n'a pas perdu son potentiel, intellectuellement il a aussi gardé toutes ses facultés. Ce qui me surprend chez lui, c'est son mental dans la mesure où on aurait pu se demander si à un moment donné il aurait pu avoir peur dans les sprints. Ce qu'il fait démontre que c'est un méchant coursier. Si vous comparez avec Arnaud Démare, dès qu'il y a deux coureurs qui viennent le frotter, il perd son train, alors que Jakobsen ne perd rien du tout. C'est un coureur vraiment surprenant.

"Sans leur faire offense, les courses avant le mois de mars sont plus des matchs amicaux"

Revenons à Paris-Nice. Avec la multiplication des courses, notamment en début de saison, Paris-Nice est-elle toujours une épreuve très importante du calendrier ?

Les épreuves se multiplient. Il y en a en Australie, même si depuis deux ans elles sont annulées, il y en a dans les pays arabes... Malgré tout, Paris-Nice reste, avec Tirreno-Adriatico, l'épreuve phare qui donne véritablement le coup d'envoi des courses par étapes. J'ai presque envie de dire que toutes les courses qui se déroulent avant le mois de mars sont plus des matchs amicaux, sans faire offense à ces épreuves. Ce sont des courses où les équipes se règlent, le mois de février est là pour permettre aux équipes de trouver leurs marques collectivement. Pour moi, le coup d'envoi de la saison, c'est le Het Nieuwsblad pour les courses d'un jour et Paris-Nice pour les courses par étapes.

Et en termes de prestige, Paris-Nice est-elle toujours une course aussi prestigieuse qu'avant ?

Ça reste toujours prestigieux mais moins que ça ne l'a été, à l'époque où les vainqueurs s'appelaient Kelly, Roche, Anquetil... Aujourd'hui, par obligation par rapport à ce qu'on vient de dire, elle va perdre de son prestige. La question qu'on se pose toujours c'est : est-ce que c'est l'épreuve qui fait les champions ou les champions qui font l'épreuve ? Dans certains cas, comme le Tour de France, c'est la course qui fait les stars. Mais lorsqu'on tombe dans des épreuves de deuxième rideau, c'est le plateau qui va permettre à l'épreuve d'avoir un peu plus de notoriété. Quoi qu'il en soit, Paris-Nice a perdu de son prestige, il ne faut pas le nier.

"Monter un cirque avec des stars dans des pays où personne ne fait de vélo..."

Tout ça est aussi lié au fait que désormais, toutes les courses ou presque peuvent être suivies très facilement dans les médias, que ce soit les premières courses françaises comme Bessèges et la Provence, les courses espagnoles ou portugaises...

Et même le Tour du Rwanda, qui est une épreuve qui est en train de monter en puissance. Au fil des années, on pourrait voir des coureurs de renom aller sur le Tour du Rwanda quand on voit le côté populaire de cette épreuve, le public qu'il y a. C'est beaucoup plus intéressant que certaines courses où les seuls spectacteurs sont des petits lézards et des fennecs dans la plaine sablonneuse. En plus, il y aura les mondiaux au Rwanda dans trois ans, ça va être en quelque sorte le point zéro du démarrage du cyclisme en Afrique. Il devrait y avoir énormément de spectateurs, contrairement aux mondiaux organisés au Qatar il y a quelques années, et d'ailleurs aujourd'hui il n'y a plus de course au Qatar. Je ne sais même pas s'il y a déjà eu un coureur qatari d'ailleurs, donc si je dois m'adresser aux responsables du cyclisme mondial, allons là où il y a un public fervent.

Sur l'UAE Tour ou le Tour d'Oman, on n'a pas vu un spectateur. Et pour aller plus loin, si on veut promouvoir le cyclisme dans des pays qui n'ont pas forcément cette culture, il faut quand même qu'ils aient des écoles de vélo, des minimes, des cadets, des juniors... C'est la base qui fera que ça marchera. Monter un cirque avec la plupart des stars dans des pays où personne ne fait de vélo, ça me paraît un petit peu anachronique. Mais on ne va pas non plus se cacher derrière son petit doigt, il y a des raisons économiques que tout le monde connaît...