INTERVIEW - Yannick Navarro : «Paul Seixas, c'est bien construit dans sa tête»
Le nom de Yannick Navarro ne vous dit sans doute rien, pourtant ! Lors de la saison 2025 et sur le dernier Tour de France, Yannick Navarro était au travail aux côtés de l'équipe Cofidis et de son champion olympique, Benjamin Thomas. Cela lui a valu d'ailleurs d'être interviewé par le journal L'Equipe afin d'y expliquer "la guerre psychologique" qui peut exister dans le sport de haut-niveau, dans le cyclisme et sur le Tour de France : "C'est une dimension mentale cruciale si bien que les équipes cyclistes, les sportifs de haut-niveau dans le rugby, le basket, le tennis..., les champions font désormais appel aux mécaniciens de l'esprit."
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Alors qui est et que fait exactement Yannick Navarro ? Qu'est-ce qu'un hypnothérapeute ? Un "magicien" du mental ? Explications et entretien avec l'intéressé où aujourd'hui, le sujet est plus que jamais d'actualité : "Les sportifs donnent souvent l’impression d’être des rocs impénétrables et incassables. Dans l’imaginaire collectif, l’exigence liée aux compétitions, à l’entrainement quotidien suppose un mental d’acier, une force morale surhumaine qui ne peut se permettre de plier à la moindre difficulté rencontrée."
"Accompagner l'athlète, en le considérant avant tout comme un être humain"
Bonjour Yannick Navarro. Alors cet entretien est assez singulier parce que, pour être honnête vis-à-vis de nos internautes et nos lecteurs, on s'est rencontrés sur le Tour de France 2025 par hasard. Comment vous définir ? Vous êtes le psy des coureurs sur le Tour de France 2025 ? le psy des sportifs ? le préparateur mental ? le coach mental ?
C'est vrai qu'il y a plusieurs noms qui peuvent fuser. On me dit oui, le psy des coureurs. Je ne suis pas psy, je ne suis pas préparateur mental non plus. Je suis hypnothérapeute et depuis plusieurs années maintenant, j'accompagne des sportifs, professionnels comme amateurs, pour justement être dans une quête de bien-être dans la performance.
Hypnothérapeute, on comprend plus ou moins, vous n'accompagnez pas n'importe quel sportif. En l'occurrence, sur le Tour de France 2025, Cofidis et des coureurs de renom, des champions olympiques.
Exactement, c'était sur la saison 2025, j'ai accompagné l'équipe Cofidis avec le Tour de France en toile de fond majeure et effectivement, Benjamin Thomas a pu bénéficier de mes services sur cette grande échéance. J'aime respecter la confidentialité parce que c'est une démarche personnelle, au-delà du professionnel, mais c'est vrai que des coureurs des top équipes mondiales, que ce soit chez Visma, j'ai quelqu'un chez UAE, Juan Sebastián Molano. J'habite à Toulouse, j'ai Andorre juste à côté et c'est un avantage de pouvoir travailler avec ces gens-là qui passent quand même beaucoup de temps en Andorre, de plus en plus avec les stages et c'est vrai que je me déplace souvent là-bas pour les accompagner.
Donc j'ai du cyclisme, mais j'accompagne aussi un athlète qui est en NBA, Olivier Sarr, qui est aujourd'hui à Toronto. Dans le sport de haut niveau, c'est vrai que c'est de plus en plus individualisé et c'est le bouche-à-oreille qui fait que les athlètes viennent vers moi.
Yannick, si je résume, vous accompagnez des coureurs cyclistes professionnels, vous avez été aussi dans le tennis, vous avez accompagné des jeunes pousses, dans le basket, dans le rugby, mais en gros Yannick, qu'est-ce que vous faites ? Vous êtes un magicien ? C'est quoi hypnothérapeute concrètement ?
Le travail que j'aime faire c'est d'accompagner l'athlète, en le considérant avant tout comme un être humain. Je travaille sur la tête, je travaille sur les émotions qui se répercutent dans le corps physique. C'est souvent de dire quand on a la boule au ventre, quand on est sidéré, la performance est compliquée. On considère l'émotionnel, on considère le mental qui est mis à rude épreuve en ce moment dans le sport de haut niveau, tout en demandant une prouesse physique de haut rang.
Donc en fait le but c'est faire un équilibre de tout ça et qu'aucune des parties ne soit mise en défaut pour privilégier l'autre. Moi je parle de l'équilibre global je dirais. Donc il y a une préparation mentale, une préparation physique, une préparation émotionnelle et une préparation énergétique aussi.
Si on peut rentrer dans le secret sans trop dévoiler pour qu'on essaye de comprendre. Vous avez accompagné l'équipe Cofidis sur le Tour de France 2025. Si je peux me permettre, si je peux être taquin, ça n'a pas trop marché parce qu'ils n'ont pas gagné d'étapes. Mais par exemple vous avez été aux côtés d'un Benjamin Thomas, on se souvient tous de ce qui s'est passé en début de Tour, où il a causé une chute. Là concrètement vous le prenez en main, vous le rassurez ?
Donc déjà sans rentrer dans le secret, Benjamin est déjà accompagné par une personne. Et moi en étant sur le Tour de France, j'ai respecté cet espace-là que lui a avec sa préparatrice mentale. Ce que je faisais, c'est justement apporter de la détente par rapport au stress. C'est vrai que cette situation-là, qu'après ils ont répétée sur la dernière étape avec le sourire, a eu un impact. Parce que ça a été du "All eyes on me" sur Benjamin Thomas qui fait tomber un autre concurrent. Le lendemain dans la zone média, peut-être des railleries... Voilà, ça c'est horrible et en fait très souvent tout ce qui est dit est amplifié. Donc qu'est-ce que le coureur a tendance à faire ? Il garde tout pour lui.
"À 15 ans les coureurs pèsent déjà leur nourriture"
Alors ça tombe bien cette actualité. On prend l'article de Ouest-France du 26 novembre. On lit, je cite : « "Ça m'aurait peut-être dégouté du vélo". Usé, des jeunes coureurs renoncent aux portes de leurs rêves. Suivant la voie du football et de son hyper-professionnalisation dès le plus jeune âge, le cyclisme perd de jeunes coureurs épuisés mentalement par la charge du travail et les chutes. Ils ont entre 19 et 23 ans et choisissent d'arrêter avant d'exposer en plein vol, malgré un avenir tout tracé chez les professionnels. » On est dedans, c'est votre rôle.
Ça fait froid dans le dos, parce que 19 et 23 ans, ça fait très jeune. Et qui dit qu'à cet âge-là, ils en sont déjà arrivés là, ça veut dire que bien en amont déjà, ils sont dans cette logique-là, dans ce rail de performance pour atteindre un haut niveau qui est de plus en plus haut d'ailleurs, et exigeant. Ça veut dire que dès 15 ans, maintenant, on le voit, il y a des jeunes qui ont, le coach, qui pèsent déjà leurs aliments. Chaque nutritionniste vous le dirait, ça c'est aucunement ma compétence, mais j'ai vu des coureurs peser 180 grammes de riz et reposer 10 grammes, parce qu'ils en avaient 190 dans l'assiette.
Et donc ça c'est l'hyperprofessionnalisation. Et vous votre rôle là-dedans c'est quoi ?
C'est de permettre à l'athlète de dire": "on va souffler un coup parce que tout ce qui gravite autour de moi, sur mes épaules, ça fait beaucoup." parce que maintenant, le sport de haut niveau prend une place énorme dans le quotidien des athlètes. Et on se dit "à quel moment les athlètes peuvent souffler ?", (parce que leur vie est gérée, conditionnée par leur pratique sportive. C'est-à-dire que s'ils ont un repas de famille, ça va être poulet et riz. Ils ne vont pas faire d'excès parce qu'ils ont telle course.
Beaucoup de choses gravitent autour de l'activité professionnelle sportive. Et à un moment donné, j'aime considérer que l'athlète est avant tout une personne qui a une journée de 24 heures. Et dans ces 24 heures, il intègre son activité professionnelle. Sauf que dans la vie de tous les jours, on voit qu'on rentre le matin au bureau à 9h, on sort à 17h, on peut aller boire un verre avec les amis, on peut aller faire son sport, on peut vivre une vie privée normale. Sauf que l'athlète, tout est rigide. "Il faut que je me repose, il faut que je veille à mon sommeil, il faut que je prépare le lendemain, il faut que je mange en conséquence, il faut que j'aille faire mes soins kinés..." Et ça, à un moment donné, la fatigue mentale que cela génère, il faut l'enrayer.
C'est l'équipe Cofidis avec son ancien manager Cédric Vasseur qui est venu vous chercher. Ça veut dire qu'en fait, il faut être réceptif à ce que vous faites parce que ça donne l'impression que c'est très intimiste, c'est pas très démocratisé, où on fait le truc dans son coin, où on n'ose pas trop parler, où on n'ose pas trop dire ce qu'on fait. C'est ça un peu ou j'ai rien compris ?
Non, vous avez parfaitement compris, c'est tellement personnel qu'en fait on ne va pas l'exposer au grand jour. Moi je garde l'info pour moi, d'où ma confidentialité et c'est quelque chose à quoi je m'engage. Et s'il m'arrive de transmettre un message à l'environnement du coureur, je ne transmets pas toute l'information, je transmets le message qui peut apporter du mieux-être dans la relation d'un entraîneur envers l'athlète.
On demande souvent à l'athlète de s'adapter au matériel qu'on lui donne, donc oui il va avoir le choix de sa taille de cadre et autres, mais c'est aussi à l'entourage de dire que ce coureur-là est comme ça, mais c'est à nous aussi d'aller vers lui, plutôt que de lui s'adapter à ce qu'on va lui demander et de rentrer dans un cadre strict. C'est quand l'athlète a sa liberté d'expression qu'il va montrer son meilleur potentiel, mais si on le bride, quelque chose qui ne lui convient pas à 100%, à la longue c'est usant. Et je pense que c'est ce qui arrive en ce moment avec les jeunes athlètes qui grandissent, si moi je me souviens ce que je faisais entre 19 et 23 ans, c'est à des années-lumière de ce qu'ils vivent, et en fait ils mettent des années de leur vie dans un rêve, dans un objectif qu'ils n'ont aucune garantie d'atteindre, et ça les consomme de l'intérieur.
"C'est déjà très bien construit dans la tête de Paul Seixas"
Justement, quel que soit le sport Yannick, le foot, le rugby, le tennis, le cyclisme, la charge mentale, on dit souvent que le sport est le reflet de la société, c'est ça le problème en ce moment ?
Je me faisais une réflexion hier en sachant qu'on allait discuter, et maintenant on consomme du cyclisme, on consomme du sport, et en fait c'est les athlètes qu'on consumme. Et une fois que ces athlètes sont consommés, ils sont cramés à la force et il y en aura toujours d'autres qui arriveront derrière. Des carrières à la Alejandro Valverde, je doute sincèrement qu'on en revoi. 30 ans maintenant c'est vieux. Et même maintenant on voit des jeunes de 25 ans qui disent : "je ne me vois pas continuer longtemps dans ce milieu-là." Donc c'est compliqué.
Et ce n'est pas physiquement, parce qu'ils sont en cannes, et on le voit certains prennent leur retraite, et ils deviennent d'excellents trailers, ils deviennent d'excellents sportifs dans d'autres disciplines. On voit Greg Van Avermaet, maintenant en triathlon c'est du costaud quand même. Laurent Jalabert à son époque, Vinokourov aussi. Et maintenant on a l'impression que les jeunes se disent : "une fois que je raccroche, j'ai tellement de capital vie à récupérer parce que j'ai tellement investi dans ce que je souhaitais atteindre." A un moment donné, il faut se ressourcer, il faut se régénérer et c'est ça qui est dans mes compétences.
Le cycliste Paul Seixas, la tenniswomen Loïs Boisson, le footballeur Kylian Mbappé. Et puis le rugbymen Antoine Dupont. L'hypnothérapeute, Yannick Navarro, s'il a la chance de pouvoir les accompagner, il leur dit quoi à ces quatre ?
Déjà je commencerai par celui qui est le plus près d'ici, Antoine Dupont. Je pense qu'il a déjà des qualités psychologiques très importantes. J'ai de connaissance le fait qu'il s'est bien entouré et comme je disais tout à l'heure, l'environnement, le terreau dans lequel on grandit, pour moi c'est fondamental.
Paul Seixas, je me dis, l'objectif Tour de France d'ici 2030 c'est loin, à la fois c'est très proche. Je me dis, le garçon il doit être vraiment solide dans sa tête. Parce qu'il y a le sponsor qui met déjà, c'est même pas la barre très haute, c'est presque un impératif, c'est mission Tour de France. Je le vois très bien, très bien construit dans sa tête aussi, son discours pour quelqu'un de son âge, c'est chapeau. Et je pense qu'il est très bien entouré aussi.
Loïs Boisson, ce que je vois, c'est que le sport qu'est le tennis, il n'y a qu'une personne sur le coup. Et ça c'est compliqué, parce que c'est vraiment tous les projecteurs sur la personne en elle-même. Et je dirais qu'il faut être préparé, je ne sais pas si elle s'attendait à vivre ce Roland-Garros-là. Et après il faut l'encaisser.
Et Kylian M'Bappé pareil, depuis qu'il a 10 ans, il est programmé. La voie est royale, ou réelle maintenant. C'est-à-dire que le plan de carrière de Kylian M'Bappé, c'est ça. Personnellement, je le vois carré. Après, on adhère ou pas à la personnalité, au personnage, mais qui peut dire qu'il connaît la personne ?

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