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Voeckler : «Je ne vais pas dérouler le tapis rouge à Seixas...»

Tour de France
Mis à jour le par Titouan LABOURIE
Photo : @Cyclismactu / CyclismActu.net

Au départ de la 17e étape du Tour de France, Thomas Voeckler s’est exprimé longuement sur les échéances majeures qui attendent l’Équipe de France dans les prochaines semaines. À commencer par les Championnats d’Europe, organisés cette année en Drôme et en Ardèche, et que le sélectionneur prépare depuis plusieurs mois. Dans cet entretien, il revient sur les contours de la sélection, le lien avec les Championnats du Monde qui auront lieu une semaine plus tôt, mais aussi sur les enseignements tirés du Tour en cours. Performances françaises, état de forme des coureurs, rôle des jeunes comme Valentin Paret-Peintre (Soudal Quick-Step), Kévin Vauquelin (Arkéa-B&B Hotels) ou Paul Seixas (Decathlon AG2R), gestion du calendrier et rapport à l’adversité... le point complet du sélectionneur !

Thomas Voeckler au micro de Cyclism'Actu

 

"Mondiaux ou Europe, je ne fais pas de hiérarchie"

On est là pour parler des Championnats d'Europe. Le compte à rebours est lancé ?

Oui, il a commencé depuis un bon moment déjà. En tout cas, dans ma tête, ça fait très longtemps qu’on y pense. Je vous remercie de vous y intéresser, parce qu’on ne va pas se mentir : on est en plein Tour de France, et penser aux Championnats d'Europe au lendemain d’une si belle victoire française, c’est fort.

 

Ce sera un des temps forts de l'année, dans la foulée des Mondiaux ?

Clairement. Pour l’équipe de France que je dirige, mais aussi pour toutes les catégories, jeunes comme élites, garçons comme filles, c’est un moment hyper important. Je ne fais pas de hiérarchie entre les événements, mais le fait que ce soit à domicile donne une dimension particulière. Pour l’instant, je trouve que c’est un peu sous-médiatisé, mais c’est compréhensible avec le Tour en cours. Cela dit, juste après les Mondiaux, la pression va monter d’un coup. Ce Championnat d’Europe a pris de l’ampleur depuis sa création. Il est porté par les coureurs eux-mêmes. Regardez Christophe Laporte, ou plus récemment Tim Merlier qui l’a gagné au sprint. Remco Evenepoel a déjà annoncé qu’il en faisait un objectif. Moi, je connais le parcours. Ce que feront les autres équipes, je l’ignore, mais c’est mon travail d’imaginer les scénarios, de voir quels profils de coureurs seront les plus adaptés, en fonction de ce que j’ai en tête et des moyens disponibles. Ce sera la semaine suivant les Mondiaux, avec un parcours qui, à première vue, s’adresse aux mêmes types de coureurs. Il ne faut pas non plus oublier les contre-la-montre dans la Drôme, très importants aussi. L’équipe de France de relais mixtes a été championne d’Europe il y a deux ans, puis championne du monde. J’ai aussi une médaille de bronze chez les jeunes... rien que d’y penser, ça me donne le sourire et ça me motive.

Sur ce Tour, je reste prudent, je ne me laisse pas emporter par l’émotionnel. Je garde ma casquette de sélectionneur bien en tête. Les Championnats d’Europe, c’est encore loin, mais ce sera un grand rendez-vous. Il mérite d’être médiatisé, et il le sera. On fera tout pour être à la hauteur de l’événement, aux côtés de tous ceux qui œuvrent à sa réussite : les organisateurs, la Fédé qui est co-organisatrice, les partenaires privés, les collectivités, et surtout les bénévoles. Sans eux, rien n’est possible.

 

"Valentin Paret-Peintre ? Il ne m'a pas surpris"

Au-delà de ta casquette de consultant, comment le sélectionneur a-t-il vécu la journée d’hier (mardi) ? Tu as eu peur pour Valentin Paret-Peintre ?

Hier, j’étais surtout un supporter. Ce que Valentin a fait, je le savais capable de le faire. Il ne m’a pas surpris. Il a parfaitement manœuvré. Ben Healy était le plus fort, mais pas le plus explosif. On savait qu’il allait tenter de loin. Valentin a pu compter sur une bonne équipe. J’ai vibré, comme des millions de Français, dans les derniers mètres. À deux kilomètres de l’arrivée, quand le dernier poursuivant est revenu, j’ai dit à mes invités : "Là, normalement, c’est bon". Je leur expliquais que, logiquement, le maillot jaune allait se relever, Ben Healy lancer de loin, et dans le dernier virage, Valentin le déborder. Et c’est exactement ce qui s’est passé. Un vrai bonheur.

 

Un débat agite le peloton : est-il possible d’enchaîner Championnat du monde et Championnat d’Europe ?

Je ne sais pas si c’est un débat, mais c’est une vraie possibilité. Pour certains coureurs, un, plusieurs ou aucun. Est-ce réalisable ? Oui. Il n’y a pas de décalage horaire, des vols de nuit sont possibles. Une semaine d’intervalle à cette période de l’année, ce n’est pas un frein. Est-ce qu’on va le faire ? Je ne sais pas encore. Mais ce n’est pas plus compliqué que ça. C’est une question d’approche, un peu comme au foot : certains ont besoin de jouer un match avant pour être bien au suivant. Je ne fais pas de hiérarchie entre le Mondial et l’Euro. Ce n’est pas plus facile de faire un résultat à l’un qu’à l’autre. Cette année, le Championnat du monde, c’est 260 bornes, 5500 mètres de dénivelé, un col de 8 km à 90 de l’arrivée... avec Vingegaard et Pogacar en chasse du titre mondial. Je suis ambitieux, toujours, mais aussi réaliste. Mon rôle, c’est de faire ce qui est le mieux pour l’équipe de France, en termes de résultats, d’état d’esprit, et de comportement. Je prends en compte l’adversité, qui est, sur le papier, supérieure. Mais ça ne veut rien dire. Il nous est déjà arrivé d’avoir la meilleure équipe et de repartir presque bredouilles. Je pense à l’Australie, où on est passés très près de repartir sans rien, avant une magnifique médaille d’argent. Alors oui, ambition et humilité, toujours.

 

Valentin Paret-Peintre est très jeune, mais il semble déjà très mûr.

Il s’est révélé sur le Giro l’an dernier. Changer d’équipe, intégrer celle de Remco Evenepoel, c’est un défi. Mais ce qu’il a fait hier, c’est typiquement son terrain : une étape de haute montagne, en troisième semaine, c’est ce qui lui convient. Et puis on a aussi Jordan Jegat, un autre profil, très intéressant dans le contexte actuel de "jeunisme" à outrance. Aujourd’hui, à 19 ans, si tu n’es pas pro, on te croit foutu. Mais ce n’est pas la réalité. On peut passer pro plus tard, ou ne jamais passer pro, et continuer à s’épanouir. Jordan, c’est l’exemple inverse. Il a bossé dans un vrai métier avant, parce que le vélo, ce n’est pas un métier au sens classique, c’est un sport. Lui sait ce que c’est de bosser. Il est mûr, il progresse par le travail. On ne compense pas tout par le talent. Je suis bien placé pour le savoir. Mais avec de l’acharnement, on peut y arriver. Ce qu’il fait sur ce Tour est à son image : discret, solide, performant. Il dit qu’il se surprend ? Peut-être, mais je pense qu’il le vend bien. Moi, je savais qu’il était capable de ça.

 

"Paul Seixas ? Son âge n’est pas un frein"

Un mot sur Kevin Vauquelin ?

Kevin, c’est un moteur incroyable. Avant même qu’on parle de Paul Seixas ou de Romain Grégoire cette année, c’était pour moi le meilleur combo rouleur-grimpeur français. Sur trois semaines, il a voulu y aller étape par étape. Là, il se lance dans un général. Il faut rester prudent, mais ce qu’il a montré hier était énorme. 

 

Le Tour de France des Français est-il réussi ?

Depuis hier oui (mardi), oui ! Hier c'était extraordinaire, mais il ne faut pas s'emblaer non plus et c'est dur. Romain Grégoire, deux top 5 en début de Tour face à une concurrence monstrueuse… que lui reprocher ? En haute montagne, à la pédale, personne ne suit Pogacar et Vingegaard. C’est une réalité.On a perdu cette suprématie qu’on avait à l’époque Démare-Bouhanni. Arnaud s’est reconverti en équipier, c’était sans doute la meilleure chose à faire. En revanche, en chrono, la bonne nouvelle, c’est qu’on est revenus dans le coup. Il y a de la concurrence, et ça tire tout le monde vers le haut. Dans les étapes pour baroudeurs, c’est super dur. Le niveau est très élevé. Les gars qui gagnent doivent se battre comme des lions. Je ne suis pas déçu des Français. Peut-être que certains sont en deçà de leur potentiel, mais ce sont les premiers à vouloir faire mieux. Le Tour n’est pas fini. Si Julian gagne à Pontarlier, ou Romain Grégoire, ou un Français sur les Champs avec un scénario de fou, que Lenny Martinez ramène le maillot à pois… ce serait un Tour exceptionnel. Jusque-là, c’était catastrophique en termes de victoire depuis 1999, mais tout peut basculer. C’est aussi ça, le charme du vélo.

 

Un mot sur Paul Seixas, dont tout le monde parle ?

Son âge n’est pas un frein. Il a un contrat WorldTour, il est sélectionnable. Je travaille toujours en concertation avec les équipes, même si je pourrais décider seul. Ce n’est pas mon mode de fonctionnement. Je ne prends personne pour acquise, je respecte les équipes. Seixas, comme d’autres, portera le maillot bleu. À court, moyen ou long terme. Mais je ne m’emballe jamais. Ce n'est pas parce que Paul Seixas a un talent fou que je vais lui dérouler le tapis rouge. Je garde les pieds sur terre. Je n’oublie pas ceux dont on parle moins, et je ne m’agenouille pas devant un phénomène, aussi unique soit-il. Tant mieux si on en a un. Profitons-en, mais restons lucides.

Publié le par Titouan LABOURIE

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