Jean-René Bernaudeau : «Les champions comme Seixas sont des exceptions»
INTERVIEWAlors que la saison 2026 se prépare, Jean-René Bernaudeau, manager général de TotalEnergies, revient pour Cyclism’Actu sur la saison 2025 et les enjeux qui attendent son équipe. Entre l’incertitude qui plane sur le cyclisme professionnel, les transformations du paysage des équipes et la fin annoncée du sponsoring principal de TotalEnergies. Fidèle à ses valeurs, Bernaudeau entend continuer à former de jeunes talents, préserver l’esprit collectif de l’équipe et relever les défis d’un sport en mutation.
"Quand on gagne, on ne donne pas de leçons, et quand on fait deuxième, on garde l’espoir"
Comment allez-vous, Jean-René ? On imagine que la préparation de la saison 2026 bat son plein.
Ça va bien, l’équipe est bien structurée. On a déjà la tête à l’an prochain depuis quelques mois. Même s’il y a des soubresauts dans la société et dans le sport, il faut faire avec. On est liés aux invitations, aux perspectives de hiérarchie mondiale. Ce n’est pas simple, mais on maîtrise. Aujourd’hui, l’équipe commence à y voir un peu plus clair sur le programme 2026.
Avant de parler de 2026, quel regard portez-vous sur la saison 2025 ?
Dans le vélo, on dit que si le Tour est réussi, la saison est réussie. On n’a pas gagné, mais le top 10 de Jordan Jegat a été une vraie révélation pour nous. Pour une équipe avec un budget modeste, c’est valorisant. Surtout que notre leader initial, Steff Cras, et notre sprinteur Émilien Jeannière sont tombés très tôt. Malgré cela, l’équipe a tenu. Cela prouve que les fondations sont solides : nous savons encaisser les coups et laisser passer les orages. Notre collectif est notre identité. On ne joue jamais tout sur un seul homme. On cultive l’instant présent, l’intelligence du groupe, et on s’appuie beaucoup sur les capitaines, ceux qui n’ont ni la gloire ni l’argent, mais qui sont les piliers. Cette année, on a obtenu 55 podiums pour 13 victoires. Émilien Jeannière aurait aimé transformer ses nombreuses deuxièmes places, mais cela montre qu’on est sur la bonne voie. Quand on gagne, on ne donne pas de leçons, et quand on fait deuxième, on garde l’espoir.
On doit forcément évoquer Jordan Jegat, la révélation. Quand vous l’avez recruté en 2024, imaginiez-vous qu’il atteigne ce niveau ?
Le cyclisme cherche des "perles rares", mais il faut comprendre que des champions comme Paul Seixas sont des exceptions. Notre modèle historique, depuis 1991, c’est le double projet : études et sport. Et Jordan en est le symbole. On ne peut pas considérer qu’un coureur "n’est plus rien" à 22 ans. Aujourd’hui, il y a une quinzaine d’ex-pros français de cet âge : c’est dramatique. Jordan représente l’espoir de ceux qu’on met de côté. L’endurance atteint sa plénitude tard, vers 25-30 ans. On ne peut pas effacer ceux qui mûrissent plus lentement. Et il y a un autre enjeu : la pyramide du cyclisme amateur menace de s’effondrer. J'ai très peur pour l'avenir du cyclisme. Sans clubs, pas de champions. En Vendée, on a la chance d’avoir des fondations solides, des bénévoles, une culture. C’est précieux. Jordan doit incarner cela : montrer que le cyclisme ne se résume pas à Pogacar, Evenepoel ou Paul Seixas, même s'ils sont géniaux.
"Les négociations se font en silence..."
Le sommet de la pyramide semble lui aussi instable, avec la disparution d'Arkéa-B&B Hotels, la fusion Lotto-Intermarché... Votre sponsor principal part fin 2026. Quelle est votre vision ?
Il faut donner du sens. Le Tour est la plus grande scène, mais les équipes doivent être crédibles, et les coureurs doivent créer une vocation autour d’eux. Et surtout, l’UCI a une responsabilité majeure : c’est à elle de dire où l’on va. J’admire ce qu’a fait Uno-X : une identité, un peuple, une fierté. L’équipe Euskaltel, lorsqu’elle incarnait son territoire, avait du sens. Moi, je veux que mes coureurs réussissent leur vie, pas seulement leur carrière sportive. Nous allons rendre hommage à TotalEnergies en 2026, puis assurer la suite. Je travaille dessus. On parlera quand ce sera signé, pas avant.
Concrètement : l’équipe existera bien après 2026 ?
Oui, c’est bien engagé. Les négociations se font en silence. Quand il y aura quelque chose à annoncer, je l’annoncerai.
Quelles seront vos ambitions en 2026 ?
On attend le résultat des audits UCI pour connaître notre programme exact. S’il y a un maintien d’Israël-Premier Tech en WorldTour, cela change notre calendrier. On fait confiance au processus. Nous voulons aligner une équipe solide sur le Tour, et nous avons besoin d’un ou deux autres Grands Tours pour accompagner les jeunes. L’effectif comptera finalement 27 coureurs, et nous communiquerons bientôt les arrivées.
Qu’est-ce qui ferait de 2026 une belle saison ?
Que le cyclisme continue d’aller dans le bon sens. Que le panache existe encore. Que les belles histoires ne soient jamais écrites la veille. Et surtout, que tout le monde reste en bonne santé. Je passe beaucoup de temps avec ceux qu’on ne voit pas, ceux qui finissent loin mais qui rendent les victoires possibles. Ils sont l’âme de l’équipe. Si, en 2026, on a honoré cela, alors la saison sera belle.
Publié le par Titouan LABOURIE