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Stéphane Augé : «Mon fils Ronan ? Il est probablement meilleur que moi»

INTERVIEW
Mis à jour le par Titouan LABOURIE
Photo : @Cyclismactu / CyclismActu.net

Au micro de Cyclism’Actu, Stéphane Augé s’exprime autour de la signature de son fils Ronan au sein de l’équipe Unibet Rose Rockets. L’ancien coureur professionnel, fort de onze saisons au plus haut niveau et d’une expérience de directeur sportif, revient sur le parcours qui a mené son fils jusqu'à chez les professionnels. Il partage également son regard sur l’évolution du cyclisme moderne, les nouvelles méthodes d’entraînement, le rôle des structures de formation et les défis auxquels sont confrontées les équipes françaises. Entre transmission, analyse et recul, Stéphane Augé offre un éclairage complet sur l’environnement dans lequel son fils entame une nouvelle étape de sa carrière.

 

"Ronan ? Il est peut-être meilleur que moi"

Bonjour Stéphane, on voulait vous voir parce qu’on a appris dernièrement qu’un certain Ronan Augé allait passer pro dans cette fameuse équipe française, Unibet Tietema Rockets. Ronan Augé, c’est qui concrètement ?

Déjà bonjour à tous. Ronan Augé, je le connais bien... C’est tout simplement mon fils. Ça fait maintenant trois ans qu’il est pro et il intègre aujourd’hui une Conti Pro avec Unibet Tietema Rockets.

 

Pour ceux qui auraient oublié, rappelez-nous un peu votre parcours chez les pros : les équipes, votre carrière…

Oui. Moi, j’ai été pro en 2000, et je suis resté professionnel jusqu’en 2010 : onze ans de carrière, huit Tours de France, huit victoires chez les pros. Mon plus beau souvenir reste le classement général – et une étape – des 4 Jours de Dunkerque. J’ai aussi gagné une étape sur le Tour d’Allemagne, en Pologne, au Tour du Limousin, au Tour du Poitou… quelques belles victoires. Ces 4 Jours de Dunkerque, surtout, m’ont permis de gagner une course par étapes d’une semaine.

Je suis passé néo-pro chez Festina en 2000, après toutes les histoires qu’on connaît. Ils voulaient redorer leur image en prenant des jeunes, et ça m’a permis de passer pro. Ensuite j’ai fait un an chez Jean Delatour, l’équipe lyonnaise : c’est là que j’ai disputé mon premier Tour de France. Puis je suis parti au Crédit Agricole pour deux ans, jusqu’en 2005, l’équipe chère à Roger Legeay à l’époque. De 2005 à 2010, j’ai couru chez Cofidis. Et après ma carrière, de 2010 à 2015, j’ai aussi été directeur sportif chez Cofidis.

 

Question toute bête : ça fait quoi d’avoir son fiston coureur cycliste professionnel ?

Ça fait drôle au départ, parce qu’il a commencé par le BMX. Le vélo lui a plu, mais je ne l’ai jamais forcé à faire de la route. Il a commencé au club de Pau tranquillement, et ça a commencé à lui plaire. Il a un peu laissé le BMX, puis il a fait des courses en cadets. En juniors, il a reçu une proposition pour partir à Nantes avec le double projet qu’on connaît : études et compétitions de haut niveau. Anthony Ravard avait déjà mis ça en place depuis trois ou quatre ans. Il est parti là-bas, ça a matché, il a eu de bons résultats, et de fil en aiguille il a progressé jusqu’à aujourd’hui.

 

Mais ça veut dire qu’il peut être meilleur que son père ?

Oui, je pense. Le vélo est différent aujourd’hui. Moi, je gagnais des courses en étant échappé au long cours, ce qui est plus rare maintenant. Lui, c’est un sprinteur : il va vite, il a de très bonnes qualités de puncheur. Il n’a que 21 ans, mais oui, il peut être meilleur que moi, et franchement je lui souhaite. Il a de très bonnes capacités.

 

"Niveau dopage, ça s’est vraiment amélioré"

Le choix de Unibet Tietema Rockets, c’est surprenant. Une équipe qui surprend depuis sa création. On l’annonce peut-être invitée sur Paris-Nice, voire le Tour de France. Ça peut être une grande année pour Ronan et son équipe ?

Quand on connaît le vélo comme moi, oui, je souhaite que l’équipe soit au Tour. De là à dire que Ronan y sera… il a 21 ans, c’est peut-être un peu prématuré. Mais bon, en faisant un bon début de saison, pourquoi pas. Pour l’instant il n’a fait qu’un stage, il n’a pas encore son programme. Et pour aller au Tour, il faut être à 100% de ses capacités, vraiment au top et mature. Par contre, comme vous le dites, ils peuvent être invités sur Paris-Nice, Paris-Roubaix… et là oui, il est largement susceptible d’y aller. Pour le Tour, on verra, déjà faut que l’équipe soit invitée.

 

Quel rôle vous avez avec Ronan ? Vous le conseillez ? Vous le laissez faire ? C’est une relation père-fils ou il vous dit : “laisse-moi tranquille” ?

Il a ses entraîneurs. Moi, je lui fais faire du derrière-scooter quand il y a besoin. Je lui donne quelques conseils, mais le vélo a changé. Dans les équipes, ils sont très bien encadrés : pôle performance, directeurs sportifs, entraîneurs… On discute beaucoup de ce nouveau vélo, des entraînements. Mais ça reste un rôle père-fils. Je suis content qu’il fasse du vélo et qu’il performe, mais je le laisse gérer sa carrière, ses entraînements, sa voie.

 

Le vélo a changé, vous l’avez dit plusieurs fois. C’est mieux maintenant ou c’était mieux avant ?

On me la pose souvent. En ayant connu avant, je dirais que c’était mieux avant. C’était différent : nos entraînements étaient moins stricts, on n’avait pas de pôle performance, on était plus livrés à nous-mêmes. Maintenant les jeunes n’ont connu que ça. Quand je parle à Ronan de mes entraînements d’avant, des courses “pour préparer des courses”… ça n’existe plus. Aujourd’hui il faut être à 100% sur chaque course. Il me dit : “Ton vélo était complètement différent.” Donc moi je préférais mon époque, mais lui est content dans le vélo actuel. Il y a du bon et du moins bon.

 

Vous êtes passé pro dans les années 2000, au moment où il fallait recrédibiliser le cyclisme. Aujourd’hui, on en est où selon vous ?

Niveau dopage, ça s’est vraiment amélioré. Ça va dans le bon sens. Maintenant il y a aussi des équipes qui dominent, mais elles ont les plus gros budgets, les meilleurs coureurs mondiaux. Donc forcément, ce sont toujours les mêmes leaders. Mais globalement, le cyclisme s’est amélioré par rapport à mon époque.

 

"Les petites équipes qui forment les jeunes n’ont pas le retour qu’elles méritent"

Un grand débat refait surface : l’avenir du cyclisme, la redistribution de l’argent, les droits télé… Vous qui avez un fils pro, comment vous voyez ça ?

Oui, ça me tient à cœur. Je prends le cas de Ronan : il a été formé à Nantes. Heureusement qu’ils l’ont pris en juniors, puis en Conti. Mais quand il passe en Conti Pro – l’équivalent de la deuxième division – une équipe comme celle d’Antony Ravard n’a pas grand-chose en retour alors qu’ils l’ont formé. Il y aurait des choses à revoir, notamment sur les droits télé. Je ne sais pas exactement comment ça fonctionne, mais les managers pourraient peut-être faire bouger les choses. Ça me dépasse un peu, mais oui, les petites équipes qui forment les jeunes n’ont pas le retour qu’elles méritent.

 

On a l’impression que tout le monde propose des idées, mais que rien ne bouge…

Oui. Rien ne bouge. La saison recommence, chacun fait son train-train. La course au point prend le dessus, les courses s’enchaînent de février à octobre… Il n’y a pas vraiment de grande tête décisionnaire. Peut-être que les grandes équipes devraient faire quelque chose. On en parle depuis des années, mais rien n’avance.

 

Manque de solidarité entre les équipes ?

Les équipes font leur boulot, elles font du mieux qu’elles peuvent. Peut-être que ce sujet ne les préoccupe pas, ou alors elles se satisfont du système actuel. Vu que ça ne bouge pas, je me dis que tout le monde s’y retrouve, finalement.

 

Thomas Voeckler annonce une nouvelle génération : Paul Seixas, Paul Magnier… Comment vous voyez l’état du cyclisme français ?

On attend toujours le vainqueur du Tour. On est passés près, on a eu des podiums. Mais pour gagner le Tour il faut être complet, et avoir une équipe solide autour de soi. La concurrence est rude. Paul Seixas ? Pourquoi pas. Il a les capacités pour, mais il ne faut pas lui mettre la pression trop tôt. Je ne sais pas s’il fera un Grand Tour cette année, mais il a l’air mûr. Paul Magnier, lui, c’est le futur sprinteur. On l’a vu : il a gagné quasiment toutes les courses qu’il a faites en fin de saison. Dès l’an prochain, je pense qu’il sera parmi les meilleurs sprinteurs mondiaux.

 

"Parfois, je plains les coureurs..."

Et le fils Augé, là-dedans ?

Il arrive à maturité un peu plus tard. Il a 21 ans, il passe les échelons comme il faut. Il a fait pas mal de podiums cette année. Je pense qu’il va encore progresser. Peut-être encore un ou deux ans pour se former complètement. Certains ont un gros moteur tout de suite, d’autres mettent plus de temps. Lui, dès l’an prochain, je pense qu’il va commencer à faire sa place. Il est dans une équipe qui lui convient.

 

L’ultra-domination de Tadej Pogacar, ça vous lasse ? Vous regardez les courses ?

Quand j’ai le temps, oui. Je vais aussi sur les épreuves, je travaille en hospitalitées avec Groupama-FDJ une cinquantaine de jours par an. Mais oui, la domination est flagrante. Parfois, je plains les coureurs : ils jouent la deuxième place. Il fait ce qu’il veut sur un vélo. Alors oui, ça peut être lassant : quand il part à 70 km, on connaît déjà le vainqueur. Ça enlève du suspense.

 

50 jours de course, et le reste du temps ? On s’occupe du gîte du côté de Pau ?

Oui, j’ai plusieurs activités. À la fin de ma carrière, j’ai investi dans l’immobilier. J’ai l’ancienne ferme familiale que je rénove. Le gîte fonctionne depuis une dizaine d’années, je le refais petit à petit. Je suis en train de créer une salle de séminaire/réception. Et j’ai 35 hectares de terre que je cultive. Je ne m’ennuie pas.

 

Et si un jour on vous repropose un poste de directeur sportif ?

Il y a deux ou trois ans, oui, ça m’aurait tenté. Aujourd’hui… j’ai 51 ans. Ce n’est pas vieux, mais le cyclisme a changé. Si on me le proposait, j’y réfléchirais. Travailler dans l’humain, la communication, la stratégie, ça me plaît toujours.

 

Pour conclure : comment vous sentez la saison 2026 qui approche ? Qu’aimeriez-vous voir ?

Déjà, qu’on arrive à contrer Pogacar. J’aime sa façon de courir, mais ce serait bien de voir d’autres coureurs gagner, avoir de belles confrontations. Et au niveau français, pourquoi pas un Français qui gagne le Tour… même si ça reste encore du domaine du rêve pour l’instant.

 

Ça marche, merci Stéphane. Et une belle carrière à votre fiston.

Oui, pourquoi pas des victoires pour Ronan. Déjà une, ce serait bien pour lancer la saison.

Publié le par Titouan LABOURIE

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